Je cherche à me faire un petit livret avec les plus beaux textes de Lost Odyssey
J'ai donc réussi à recopier les suivants, que je transmets donc volontiers à votre site internet pour le compléter. ( Comme annoncé précédemment je suis ravis d'aider à compléter votre site) malgré un accueil somme toute spécial
L’histoire du vieux Gréo
Le vieux Gréo était le meilleur cordonnier de son pays.
Ses chaussures étaient légères comme la plume et résistantes comme l’acier. Elles étaient aussi très chères, trois fois plus que les autres produits du marché. Ceux qui ne connaissaient pas sa réputation étaient si choqués en apprenant ses prix qu’ils s’exclamaient :
« Le vieil homme doit faire des chaussures pour son seul plaisir ! »
Bien sûr, ils avaient tort, il était rentré en apprentissage dès son plus jeune âge et dès qu’il parvenait à maîtriser la technique d’un artisan, il partait travailler chez un meilleur cordonnier encore. Très vite, il fit des chaussures pour les petits-enfants de ses anciens clients
Gréo était si doué qu’il pouvait satisfaire toutes les commandes de ses clients. Mais sa
Spécialité, et ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était confectionner des chaussures de voyage à grosses semelles. Tous ses clients s’accordaient à le dire :
« Une fois que vous avez voyagé dans les chaussures du vieux Gréo vous ne pouvez rien porter d’autre. »
D’autres disaient :
« Vous savez ce que ça fait de porter ses chaussures ? Vous ne ressentez plus la fatigue. Vous n’avez qu’une envie, c’est de marcher, encore et encore, le plus longtemps et le plus loin possible. Vous regrettez presque d’arriver. »
Mais il avait beau être artisan, le vieux Gréo parlait peu à ses clients et il pouvait même être odieux. Complimenté sur son travail, il ne décrochait pas un sourire. Il se contentait d’ajouter un morceau de cuir tanné sur sa chaussure en bois et se remettait à taper du maillet. Les seules fois où il esquissait un sourire, c’est quand un client entrait dans son atelier pour passer commande.
Ce n’était pas le fait qu’on lui passe commande qui le réjouissait, mais le fait qu’un client lui apporte une paire de chaussure qui avait fait son temps. Il regardait avec amour les semelles élimées et les empeignes fatiguées et se mettait à leur parler :
« Tu as bien voyagé à ce que je vois… »
Ses clients fidèles ne jetaient jamais eux-mêmes leurs vieilles chaussures, car ils savaient à quel point Gréo aimait cela. Ils ne se risquaient non plus jamais à les nettoyer avant de les lui apporter. Il les voulait sales, couvertes de taches et de boue, sentant la sueur, comme sur la route.
« Ce sont mes remplaçantes », disait-il, en leur choisissant une place d’honneur dans son atelier.
« Elles voyagent pour moi, vous savez. Elles ont bien travaillé. J’ai horreur de les jeter juste parce qu’elles sont trop usées. »
Le vieux Gréo avait beau être fier de son travail, il ne portait jamais ses propres créations. Il n’aurait pas pu les porter, même s’il avait voulu. Ses jambes étaient amputées sous les genoux. Une terrible maladie avait attaqué ses os quand il était très jeune et on avait dû lui couper les jambes pour le sauver. Le vieil homme avait passé toute sa vie dans un fauteuil roulant. Il n’avait jamais quitté son village natal. Voilà pourquoi il aimait à dire que ses chaussures voyageaient à sa place.
« Ça faisait bien longtemps que je ne t’avais pas vue ». Lance le vieux Gréo sans lever les yeux de son travail, tandis que Kaïm franchit le pas de la porte. Le vieil homme tourne le dos à la porte, mais il sait reconnaître le bruit de pas de ses clients fidèles quand ils entrent dans sa boutique.
« Tu as traversé le désert ? »
Le son produit par les chaussures lui apprend leur degré d’usure et où elles sont allées. Le vieux Gréo est un artisan de premier rang.
« C’était un voyage éprouvant », répond Kaïm avec un sourire amer en s’asseyant sur une chaise dans le coin de la boutique. Quand le vieux Gréo apporte la touche finale à une paire de chaussure, presque rien ne peut le distraire, ses clients réguliers le savent.
« Mes chaussures t’ont bien aidé cette fois ? »
« Elles ont été fantastiques ! Je n’y serais pas arrivé avec une autre paire. »
« C’est bien. »
Comme d’habitude, la voix du vieil homme ne laisse transparaître aucune satisfaction. Gréo est encore plus brusque quand il travaille. Si Kaïm veut voir le sourire du vieillard, il va devoir attendre de lui tendre ses vieilles chaussures lors d’une pause.
« Tu en veux de nouvelles ? »
« Oui. »
« Où vas-tu cette fois-ci ? »
« Au nord je pense. »
« Mer ? Montagne ? »
« Je vais sûrement marcher le long du rivage. »
« Pour te battre ? »
« Probablement. »
Le vieux Gréo acquiesce d’un signe de tête. Puis il se tait. Le seul son dans l’atelier provient de son maillet en bois.
Comme au bon vieux temps. Kaïm est ému par ce son.
Il a commandé un nombre incalculable de paires de chaussures ici. Même avant que le vieil homme ne reprenne la boutique. Kaïm est l’un des plus vieux clients de Gréo. En d’autres termes, c’est l’un des rares à avoir survécu à plusieurs voyages.
Tout en balançant son maillet, le vieil homme raconte par de courtes phrases la mort de certains de ses plus vieux clients. L’un d’entre eux est tombé malade et il est mort sur la route. Un autre est mort dans un accident. Un autre encore est mort dans une bataille…
« C’est dur quand seules les chaussures reviennent. »
Kaïm acquiesce silencieusement.
« Un jeune client est mort il y a quelques semaines. C’était la première paire de chaussures que j’avais faite pour lui. Les semelles étaient à peine usées. »
« Parle moi de lui. »
« C’est l’histoire classique : il a quitté son village natal pour vivre des aventures palpitantes, Ses parents ont essayé de l’en empêcher mais il est parti quand même. »
« Ça m’étonne qu’il ait pu s’offrir une paire de chaussures chez toi. »
« Ses parents les lui on offertes. Triste, n’est-ce pas ? Ils lui ont donné tout leur amour et leur affection, et à peine sorti de l’enfance, il a quitté la maison. Ils ont fini par abandonner et le laisser partir. Ils ont pensé qu’ils devaient au moins lui acheter une de mes paires de chaussures, comme cadeau d’adieu. Son corps a été rapatrié moins d’un mois plus tard. De nos jour, les parents gâtent trop leurs enfants, c’est stupide », dit Gréo, crachant les mots.
Kaïm sait que la pensée du vieux Gréo va plus loin. Gréo est le genre d’artisan qui se précipiterait pour confectionner une paire de chaussures pour l’enterrement d’un pauvre garçon qui a rendu l’âme alors que son rêve commençait à peine. Il les mettrait aux pieds du défunt en espérant qu’elles l’aident à accomplir son ultime voyage.
Gréo se tait à nouveau et brandit son maillet. Kaïm remarque à quel point le vieil homme est courbé et desséché. Il le connaît depuis très, très longtemps. Sa vie va bientôt s’achever, se dit Kaïm avec un pincement de cœur. Le vieux Gréo interrompt enfin son œuvre et se retourne pour faire face à son client.
« C’est bon de te revoir, Kaïm. »
Son visage est couvert de rides. Encore une fois, Kaïm réalise à quel point kes années pèsent sur lui.
« Où as-tu dit que tu étais allé déjà ? »
« Dans le désert ? »
« Oui, tu as déjà dû me le dire. »
Kaïm secoue la tête. Le Vieillard semble perdre sa concentration quand il cesse de travailler et sa mémoire le trahit parfois. Lentement mais sûrement, le vieux Gréo passe de plus en plus de temps à dériver entre rêve et réalité. Les gens vieillissent et meurent. Cette vérité inébranlable frappe Kaïm avec plus de force à a chaque fois qu’il achève un voyage.
« Tu as survécu à celui-là à ce que je vois. »
Kaïm le regarde avec un sourire forcé.
« Tu as oublié ? Je ne peux pas mourir. »
« Oh, je suppose que je le savais… »
« Et je ne vieillis jamais. Je n’ai pas changé depuis la première fois que tu m’as vu, n’est-ce pas ? »
« Le vieil homme semble étourdi un moment ; Oh, je suppose que je le savais aussi… », déclare-t-il en hochant de la tête d’un air incertain.
« Mais oui, tu n’était alors qu’un enfant, Tu avais eu cette maladie, tu avais perdu tes deux jambes et tu n’arrêtais pas de pleurer. »
« C’est vrai…je m’en souviens… »
« Tu m’appelais « grand frère Kaïm »
Et tu jouais sans cesse avec mes vieilles chaussures. Ça te reviens ? »
« Oui, bien sûr… »
Gréo parle maintenant avec certitude. Peut-être que le brouillard s’est dissipé dans son esprit, ou peut-être que ces souvenirs sont plus clairs car ils remontent à très longtemps.
« Les semelles étaient élimées, il y avait des trous ici, et ici, et elles sentaient la boue et la sueur. Pour d’autres personnes, elles n’auraient été qu’une vieille paire de chaussures bonne pour la poubelle, mais pour moi, c’était un trésor. Je me rappelle avoir caressé la poussière qui les recouvrait en me demandant où elles avaient bien pu aller. Je les adorais ! Je les aimais tellement ! »
C’était grâce aux chaussures de Kaïm que le vieux Gréo était devenue cordonnier.
« Tout ça, c’est grâce à toi, Kaïm. Si je ne t’avais pas rencontré, j’aurais passé ma vie à maudire mon destin. Au lieu de ça, j’ai été heureux. Et je le suis encore. Même si je ne peux pas quitter cet atelier, mes filles voyagent pour moi. J’ai eu une belle vie »
Il fait une pause, « Oh, mais écoute-moi, je m’emporte, je m’emporte ! », dit Gréo avec un sourire gêné. Il tend une main épaisse à Kaïm.
« Bien, à présent, donne-moi mes filles », dit-il, et Kaïm lui tend la paire de chaussures usées qu’il a apportée.
Le vieil homme les caresse gentiment et déclare en soupirant :
« Vous avez vu plus d’une bataille. »
« J’ai aussi été mercenaire pendant un temps. »
« Je sais », répond Gréo, « Je sens l’odeur du sang. Toutes les chaussures qui voyagent avec toi sont comme ça. »
« Tu es fâché ? »
« Pas du tout. Au contraire, je suis content que tu sois revenu de ton dernier voyage vivant. »
« Je repartirai dès que tu auras fini ma nouvelle paire. »
« Encore un de ces voyages ? Encore la guerre ? »
« Oui… »
« Et une fois ce voyage terminé, tu en commenceras un autre ? »
« Probablement… »
« Combien de temps tu vas tenir ? »
Kaïm décroche un sourire amer. Éternellement. Ce n’est pas le genre de mot qu’on emploie à la légère devant quelqu’un qui a vécu si peu mais si pleinement.
« Oh, peu importe », Déclare le vieil homme, tournant à nouveau le dos à Kaïm pour ce remettre à l’ouvrage.
« Attends trois jours. Tu pourras repartir le matin du quatrième jour. »
« C’est parfait. »
« Et après, quand te reverrai-je ? »
« Dans deux ans, peut-être trois ! Ou peut-être plus… »
« Vraiment ? Alors c’est peut-être bien la dernière paire de chaussures que je fais pour toi. »
C’est aussi ce que croit Kaïm. Le vieillard ne vivra sûrement pas trois années de plus. Kaïm espère sincèrement le contraire, mais l’espoir seul ne fait rien. Seuls les immortels savent que c’est pour cela qu’une vie humaine est su précieuse.
« Sis-moi, Kaïm… »
« Oui ? »
« Ça te dérange si je fais une deuxième paire de chaussures sur le modèle de tes nouvelles et dans le même morceau de cuir ? »
Il explique qu’il les fera placer dans son cercueil, pour l’ultime voyage de sa vie.
« Ça me ferait très plaisir », déclare Kaïm. Pour toute réponse, le vieil homme brandit son maillet. Le son est beaucoup plus triste que d’habitude.
« Mais j’y pense, Kaïm, reviens dans ce village, même après ma mort, et dépose tes vieilles chaussures en offrande sur la tombe. »
« Je le ferai. »
« J’aimerais pouvoir dire que j’irai au paradis avant toi et que je t’y attendrai, mais dans ton cas, ça ne marche pas… »
« Non, malheureusement. »
« Comment est-ce un voyage sans fin ? Agréable ? Désagréable ? »
« Sûrement désagréable », répond Kaïm, mais sa voix est recouverte par le bruit du mailler de Gréo et elle fini par se perdre.
Le vieux Gréo atteignit la fin de son voyage peu après la visite de Kaïm. Puisqu’il n’avait pas de famille, sa tombe, située dans un cimetière aux abords de la ville, n’était visitée que par « ses filles »,. Comme il l’avait demandé, ses plus fidèles clients venaient y déposer leurs vieilles chaussures. Celles de Kaïm en faisaient partie.
Gréo avait lui-même choisit les mots qui ornaient sa tombe. Voici comment il expliqua son choix à Kaïm :
« J’ai dit ces mots à chaque nouvelle paire de chaussures avant de la tendre au client ; Et je les ai dits aux clients aussi. Mais je n’ai jamais eu l’occasion de mes les entendre dire. Voilà pourquoi je les veux sur ma tombe, Je veux qu’on me voie partir au paradis avec ces mots. »
Plusieurs décennies se sont écoulées. Tout comme le vieux Gréo, ses vieux clients ont quitté ce monde depuis longtemps. Kaïm est le seul à encore se rendre sur la tombe du vieillard. Il ne porte plus de chaussures confectionnées par Gréo. Les paires de chaussures ne durent pas éternellement, tout comme la vie des hommes.
Mais Kaïm se rend toujours dans cette ville avant d’entamer un nouveau périple pour s’agenouiller devant la tombe du vieil homme. La pierre tombale est couverte de mousse mais étrangement, les mots qui y sont gravés sont encore clairement visibles.
- Que ton voyage soit agréable !
Ce sont les mots que le vieil homme a toujours prononcés. Ils pouvaient brusques venant de lui, ils étaient toujours chargés d’émotion.
Ses chaussures étaient légères comme la plume et résistantes comme l’acier. Elles étaient aussi très chères, trois fois plus que les autres produits du marché. Ceux qui ne connaissaient pas sa réputation étaient si choqués en apprenant ses prix qu’ils s’exclamaient :
« Le vieil homme doit faire des chaussures pour son seul plaisir ! »
Bien sûr, ils avaient tort, il était rentré en apprentissage dès son plus jeune âge et dès qu’il parvenait à maîtriser la technique d’un artisan, il partait travailler chez un meilleur cordonnier encore. Très vite, il fit des chaussures pour les petits-enfants de ses anciens clients
Gréo était si doué qu’il pouvait satisfaire toutes les commandes de ses clients. Mais sa
Spécialité, et ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était confectionner des chaussures de voyage à grosses semelles. Tous ses clients s’accordaient à le dire :
« Une fois que vous avez voyagé dans les chaussures du vieux Gréo vous ne pouvez rien porter d’autre. »
D’autres disaient :
« Vous savez ce que ça fait de porter ses chaussures ? Vous ne ressentez plus la fatigue. Vous n’avez qu’une envie, c’est de marcher, encore et encore, le plus longtemps et le plus loin possible. Vous regrettez presque d’arriver. »
Mais il avait beau être artisan, le vieux Gréo parlait peu à ses clients et il pouvait même être odieux. Complimenté sur son travail, il ne décrochait pas un sourire. Il se contentait d’ajouter un morceau de cuir tanné sur sa chaussure en bois et se remettait à taper du maillet. Les seules fois où il esquissait un sourire, c’est quand un client entrait dans son atelier pour passer commande.
Ce n’était pas le fait qu’on lui passe commande qui le réjouissait, mais le fait qu’un client lui apporte une paire de chaussure qui avait fait son temps. Il regardait avec amour les semelles élimées et les empeignes fatiguées et se mettait à leur parler :
« Tu as bien voyagé à ce que je vois… »
Ses clients fidèles ne jetaient jamais eux-mêmes leurs vieilles chaussures, car ils savaient à quel point Gréo aimait cela. Ils ne se risquaient non plus jamais à les nettoyer avant de les lui apporter. Il les voulait sales, couvertes de taches et de boue, sentant la sueur, comme sur la route.
« Ce sont mes remplaçantes », disait-il, en leur choisissant une place d’honneur dans son atelier.
« Elles voyagent pour moi, vous savez. Elles ont bien travaillé. J’ai horreur de les jeter juste parce qu’elles sont trop usées. »
Le vieux Gréo avait beau être fier de son travail, il ne portait jamais ses propres créations. Il n’aurait pas pu les porter, même s’il avait voulu. Ses jambes étaient amputées sous les genoux. Une terrible maladie avait attaqué ses os quand il était très jeune et on avait dû lui couper les jambes pour le sauver. Le vieil homme avait passé toute sa vie dans un fauteuil roulant. Il n’avait jamais quitté son village natal. Voilà pourquoi il aimait à dire que ses chaussures voyageaient à sa place.
« Ça faisait bien longtemps que je ne t’avais pas vue ». Lance le vieux Gréo sans lever les yeux de son travail, tandis que Kaïm franchit le pas de la porte. Le vieil homme tourne le dos à la porte, mais il sait reconnaître le bruit de pas de ses clients fidèles quand ils entrent dans sa boutique.
« Tu as traversé le désert ? »
Le son produit par les chaussures lui apprend leur degré d’usure et où elles sont allées. Le vieux Gréo est un artisan de premier rang.
« C’était un voyage éprouvant », répond Kaïm avec un sourire amer en s’asseyant sur une chaise dans le coin de la boutique. Quand le vieux Gréo apporte la touche finale à une paire de chaussure, presque rien ne peut le distraire, ses clients réguliers le savent.
« Mes chaussures t’ont bien aidé cette fois ? »
« Elles ont été fantastiques ! Je n’y serais pas arrivé avec une autre paire. »
« C’est bien. »
Comme d’habitude, la voix du vieil homme ne laisse transparaître aucune satisfaction. Gréo est encore plus brusque quand il travaille. Si Kaïm veut voir le sourire du vieillard, il va devoir attendre de lui tendre ses vieilles chaussures lors d’une pause.
« Tu en veux de nouvelles ? »
« Oui. »
« Où vas-tu cette fois-ci ? »
« Au nord je pense. »
« Mer ? Montagne ? »
« Je vais sûrement marcher le long du rivage. »
« Pour te battre ? »
« Probablement. »
Le vieux Gréo acquiesce d’un signe de tête. Puis il se tait. Le seul son dans l’atelier provient de son maillet en bois.
Comme au bon vieux temps. Kaïm est ému par ce son.
Il a commandé un nombre incalculable de paires de chaussures ici. Même avant que le vieil homme ne reprenne la boutique. Kaïm est l’un des plus vieux clients de Gréo. En d’autres termes, c’est l’un des rares à avoir survécu à plusieurs voyages.
Tout en balançant son maillet, le vieil homme raconte par de courtes phrases la mort de certains de ses plus vieux clients. L’un d’entre eux est tombé malade et il est mort sur la route. Un autre est mort dans un accident. Un autre encore est mort dans une bataille…
« C’est dur quand seules les chaussures reviennent. »
Kaïm acquiesce silencieusement.
« Un jeune client est mort il y a quelques semaines. C’était la première paire de chaussures que j’avais faite pour lui. Les semelles étaient à peine usées. »
« Parle moi de lui. »
« C’est l’histoire classique : il a quitté son village natal pour vivre des aventures palpitantes, Ses parents ont essayé de l’en empêcher mais il est parti quand même. »
« Ça m’étonne qu’il ait pu s’offrir une paire de chaussures chez toi. »
« Ses parents les lui on offertes. Triste, n’est-ce pas ? Ils lui ont donné tout leur amour et leur affection, et à peine sorti de l’enfance, il a quitté la maison. Ils ont fini par abandonner et le laisser partir. Ils ont pensé qu’ils devaient au moins lui acheter une de mes paires de chaussures, comme cadeau d’adieu. Son corps a été rapatrié moins d’un mois plus tard. De nos jour, les parents gâtent trop leurs enfants, c’est stupide », dit Gréo, crachant les mots.
Kaïm sait que la pensée du vieux Gréo va plus loin. Gréo est le genre d’artisan qui se précipiterait pour confectionner une paire de chaussures pour l’enterrement d’un pauvre garçon qui a rendu l’âme alors que son rêve commençait à peine. Il les mettrait aux pieds du défunt en espérant qu’elles l’aident à accomplir son ultime voyage.
Gréo se tait à nouveau et brandit son maillet. Kaïm remarque à quel point le vieil homme est courbé et desséché. Il le connaît depuis très, très longtemps. Sa vie va bientôt s’achever, se dit Kaïm avec un pincement de cœur. Le vieux Gréo interrompt enfin son œuvre et se retourne pour faire face à son client.
« C’est bon de te revoir, Kaïm. »
Son visage est couvert de rides. Encore une fois, Kaïm réalise à quel point kes années pèsent sur lui.
« Où as-tu dit que tu étais allé déjà ? »
« Dans le désert ? »
« Oui, tu as déjà dû me le dire. »
Kaïm secoue la tête. Le Vieillard semble perdre sa concentration quand il cesse de travailler et sa mémoire le trahit parfois. Lentement mais sûrement, le vieux Gréo passe de plus en plus de temps à dériver entre rêve et réalité. Les gens vieillissent et meurent. Cette vérité inébranlable frappe Kaïm avec plus de force à a chaque fois qu’il achève un voyage.
« Tu as survécu à celui-là à ce que je vois. »
Kaïm le regarde avec un sourire forcé.
« Tu as oublié ? Je ne peux pas mourir. »
« Oh, je suppose que je le savais… »
« Et je ne vieillis jamais. Je n’ai pas changé depuis la première fois que tu m’as vu, n’est-ce pas ? »
« Le vieil homme semble étourdi un moment ; Oh, je suppose que je le savais aussi… », déclare-t-il en hochant de la tête d’un air incertain.
« Mais oui, tu n’était alors qu’un enfant, Tu avais eu cette maladie, tu avais perdu tes deux jambes et tu n’arrêtais pas de pleurer. »
« C’est vrai…je m’en souviens… »
« Tu m’appelais « grand frère Kaïm »
Et tu jouais sans cesse avec mes vieilles chaussures. Ça te reviens ? »
« Oui, bien sûr… »
Gréo parle maintenant avec certitude. Peut-être que le brouillard s’est dissipé dans son esprit, ou peut-être que ces souvenirs sont plus clairs car ils remontent à très longtemps.
« Les semelles étaient élimées, il y avait des trous ici, et ici, et elles sentaient la boue et la sueur. Pour d’autres personnes, elles n’auraient été qu’une vieille paire de chaussures bonne pour la poubelle, mais pour moi, c’était un trésor. Je me rappelle avoir caressé la poussière qui les recouvrait en me demandant où elles avaient bien pu aller. Je les adorais ! Je les aimais tellement ! »
C’était grâce aux chaussures de Kaïm que le vieux Gréo était devenue cordonnier.
« Tout ça, c’est grâce à toi, Kaïm. Si je ne t’avais pas rencontré, j’aurais passé ma vie à maudire mon destin. Au lieu de ça, j’ai été heureux. Et je le suis encore. Même si je ne peux pas quitter cet atelier, mes filles voyagent pour moi. J’ai eu une belle vie »
Il fait une pause, « Oh, mais écoute-moi, je m’emporte, je m’emporte ! », dit Gréo avec un sourire gêné. Il tend une main épaisse à Kaïm.
« Bien, à présent, donne-moi mes filles », dit-il, et Kaïm lui tend la paire de chaussures usées qu’il a apportée.
Le vieil homme les caresse gentiment et déclare en soupirant :
« Vous avez vu plus d’une bataille. »
« J’ai aussi été mercenaire pendant un temps. »
« Je sais », répond Gréo, « Je sens l’odeur du sang. Toutes les chaussures qui voyagent avec toi sont comme ça. »
« Tu es fâché ? »
« Pas du tout. Au contraire, je suis content que tu sois revenu de ton dernier voyage vivant. »
« Je repartirai dès que tu auras fini ma nouvelle paire. »
« Encore un de ces voyages ? Encore la guerre ? »
« Oui… »
« Et une fois ce voyage terminé, tu en commenceras un autre ? »
« Probablement… »
« Combien de temps tu vas tenir ? »
Kaïm décroche un sourire amer. Éternellement. Ce n’est pas le genre de mot qu’on emploie à la légère devant quelqu’un qui a vécu si peu mais si pleinement.
« Oh, peu importe », Déclare le vieil homme, tournant à nouveau le dos à Kaïm pour ce remettre à l’ouvrage.
« Attends trois jours. Tu pourras repartir le matin du quatrième jour. »
« C’est parfait. »
« Et après, quand te reverrai-je ? »
« Dans deux ans, peut-être trois ! Ou peut-être plus… »
« Vraiment ? Alors c’est peut-être bien la dernière paire de chaussures que je fais pour toi. »
C’est aussi ce que croit Kaïm. Le vieillard ne vivra sûrement pas trois années de plus. Kaïm espère sincèrement le contraire, mais l’espoir seul ne fait rien. Seuls les immortels savent que c’est pour cela qu’une vie humaine est su précieuse.
« Sis-moi, Kaïm… »
« Oui ? »
« Ça te dérange si je fais une deuxième paire de chaussures sur le modèle de tes nouvelles et dans le même morceau de cuir ? »
Il explique qu’il les fera placer dans son cercueil, pour l’ultime voyage de sa vie.
« Ça me ferait très plaisir », déclare Kaïm. Pour toute réponse, le vieil homme brandit son maillet. Le son est beaucoup plus triste que d’habitude.
« Mais j’y pense, Kaïm, reviens dans ce village, même après ma mort, et dépose tes vieilles chaussures en offrande sur la tombe. »
« Je le ferai. »
« J’aimerais pouvoir dire que j’irai au paradis avant toi et que je t’y attendrai, mais dans ton cas, ça ne marche pas… »
« Non, malheureusement. »
« Comment est-ce un voyage sans fin ? Agréable ? Désagréable ? »
« Sûrement désagréable », répond Kaïm, mais sa voix est recouverte par le bruit du mailler de Gréo et elle fini par se perdre.
Le vieux Gréo atteignit la fin de son voyage peu après la visite de Kaïm. Puisqu’il n’avait pas de famille, sa tombe, située dans un cimetière aux abords de la ville, n’était visitée que par « ses filles »,. Comme il l’avait demandé, ses plus fidèles clients venaient y déposer leurs vieilles chaussures. Celles de Kaïm en faisaient partie.
Gréo avait lui-même choisit les mots qui ornaient sa tombe. Voici comment il expliqua son choix à Kaïm :
« J’ai dit ces mots à chaque nouvelle paire de chaussures avant de la tendre au client ; Et je les ai dits aux clients aussi. Mais je n’ai jamais eu l’occasion de mes les entendre dire. Voilà pourquoi je les veux sur ma tombe, Je veux qu’on me voie partir au paradis avec ces mots. »
Plusieurs décennies se sont écoulées. Tout comme le vieux Gréo, ses vieux clients ont quitté ce monde depuis longtemps. Kaïm est le seul à encore se rendre sur la tombe du vieillard. Il ne porte plus de chaussures confectionnées par Gréo. Les paires de chaussures ne durent pas éternellement, tout comme la vie des hommes.
Mais Kaïm se rend toujours dans cette ville avant d’entamer un nouveau périple pour s’agenouiller devant la tombe du vieil homme. La pierre tombale est couverte de mousse mais étrangement, les mots qui y sont gravés sont encore clairement visibles.
- Que ton voyage soit agréable !
Ce sont les mots que le vieil homme a toujours prononcés. Ils pouvaient brusques venant de lui, ils étaient toujours chargés d’émotion.
Rien ne pourra empêcher le village de devenir un champ de bataille. Les troupes ennemies ont traversé le col, au nord, et ont installé leur camp dans les environs. Les troupes nationales sont là aussi, envoyant des unités une à une dans le village pour contenir les attaques ennemies. L’endroit est une véritable poudrière.
Entouré de montagnes où de grands axes s’entrecroisent. Le village est un point stratégique pour le transport. Il ne faut en aucun cas qu’il tombe entre les mains ennemies. S’il venait à le capturer, l’adversaire aurait de grandes chances de gagner la guerre. De longues années de combats reposent désormais sur cette bataille majeure. C’est une bataille inévitable. La logique est claire, simple, implacable. Et elle va faire de ce village paisible un champ de bataille d’un moment à l’autre.
L’armée a ordonné aux villageois d’évacuer les lieux. Les civils ne pourraient qu’entraver le bon déroulement des évènements.
« L’ennemi veut en finir avant que le temps ne se refroidisse. »
« Alors, qu’est-ce que ça veut dire ? Encore un mois ? Deux semaines ? »
« Vos affaires sont prêtes ? Pas la peine de se retrouver en plein milieu de la bataille et de se faire tuer. A quoi bon mourir pour rien ! »
« Laissez tomber le superflu. Chargez-vous le moins possible et partez le plus loin que vous pourrez. »
« Quand je pense à tous nos ancêtres qui ont protégé nos maison et nos terres, je n’arrive pas à me dire que tout cela va être détruit une fois le combat commencé… »
« On ne peut rien y faire. C’est la faute à pas de chance, c’est tout. »
« Il faut juste qu’on s’accroche jusqu’à la fin de la guerre et on reviendra quand on saura qui a gagné. »
« Pour l’instant, le plus important, c’est de partir d’ici. »
« C’est vrai, c’est tout ce qu’on peut faire. »
« On doit rester en vie. Mieux vaut tout perdre due mourir. »
« Pourquoi est-ce qu’il faut que ça nous arrive ? »
Les villageois partent par petits groupes, les premiers cherchant des abris temporaires. Le temps que la forêt ne se teinte légèrement rouge, le village est quasiment désert. Les seuls habitants sont désormais les personnes âgées, qui vivent seuls et qui n’ont nulle part où aller. L’armée a construit un camp de réfugiés rudimentaire pour les personnes capables de traverser plusieurs montagnes pour l’atteindre. Les pauvres personnes âgées chancellent déjà sous le poids des vêtements qu’elles portent sur le dos…
La seule personne restant dans le village est mamie Coto.
Alors mercenaire, Kaïm rencontra la vieille Coto peu après avoir rejoint l’unité protégeant le village. Ce jour-là, il faisait son tour de garde quant il aperçut une vieille femme travaillant dans les champs. C’était mamie Coto.
Un soldat qu l’accompagnait lui cria : « Hé, vieille femme, ça suffit ! »
Un autre hurla : « Vous feriez mieux de partir d’ici maintenant si vous voulez rester en vie. La bataille va commencer dans deux ou trois jours. Combien de fois faudra-t-il qu’on vous dise de rejoindre le camp de réfugiés ? »
La vieille Coto resta courbée, à travailler la terre. Manifestement, elle ne récoltait rien. Si la scène s’était passée à l’époque où les cultures arrivent à maturité, ça aurai eu du sens qu’elle se dépêche de tout récolter. En fait, elle se contentait de retourner la terre, comme si elle avait oublié qu’une bataille était sur le point d’éclater.
« Est-ce que la vieille est sourde ? Ou juste sénile ? »
D’un air dégoûté, le capitaine appela Kaïm : « Hé, le nouveau ! Occupe-toi d’elle ! Emmène-la au camp de réfugiés. Traîne la par les pieds s’il le faut ! On ne peut pas se permettre de l’avoir dans les pattes. Elle va nous gêner plus qu’autre chose quand la bataille aura commencé. »
Le capitaine avait un ton arrogant. Plus un officier est peureux, plus il devient fier et dominateur, et moins il arrive à cacher sa nervosité à l’approche d’une bataille. Sans rien dire Kaïm se dirigea à grands pas vers la vieille femme dans le champ.
« On avance ! », lui lança le capitaine, mais il ne se retourna pas. Quelques jours suffiraient pour décider de l’issue de la bataille pour le village, ce qui illustre bien à quel point elle s’annonçait violente. Travailler dans les champs était désormais utile. Même le lopin de terre le plus soigné serait piétiné par les bottes des soldats. La récolte de l’année suivante n’était plus à l’ordre du jour. Et personne ne savait combien d’années seraient nécessaires pour que le village retrouve sa tranquillité.
Quand Kaïm s’approcha d’elle dans le champ, la vieille femme continua de travailler et dit :
« N’essayer pas de m’arrêter ! »
De près, elle paraissait bien plus forte que de loin. Il s’agissait certainement d’une de ces vieilles personnes têtues et grincheuses que les villageois n’osaient pas approcher en temps de paix.
« Vous n’allez pas partir ? », demanda Kaïm.
« Pour aller Où ? », lui cracha-t-elle.
« Ils ont construit un camp où vous pouvez vous rendre… »
La vieille Coto grommela et dit à Kaïm :
« Vous êtes nouveau. Je ne vous ai jamais vu. »
« Oui… »
« Alors vous ne savez même pas à quoi ressemble le camp. Vous, les soldats, vous n’avez à vous inquiéter de rien. »
« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »
La vieille Coto ne dit rien mais montra la montagne escarpée, dressée comme un décor sur la façade ouest du village. Kaïm demanda : « C’est là-bas qu’est le camp ? »
« Bien sûr que non, il faut traverser cette montagne et encore une autre pour y arriver. Personne de mon âge ne peut marcher aussi loin. Pourquoi construire un camp dans un endroit pareil ? A leur avis, combien de personnes âgées y arriveront ? Ils pourraient aussi bien nous abandonner à notre triste sort comme au bon vieux temps. »
Kaïm ne sut quoi répondre. Continuant à creuser, la vieille femme grogna : « C’est toujours pareil avec le gouvernement »
Elle était de toute évidence en colère mais sûrement aussi très triste.
« Vous faites votre tour de garde, hein ? Alors je ne vais pas vous retenir plus longtemps… »
« Non, vous voyez… »
« Vous ne m’obligerez pas à aller dans ce maudit camp de réfugiés. Pas la peine d’insister. Je ne vais nulle part. C’est le village où je suis née et j’ai passé toute ma vie ici. »
« Je comprends ce que vous ressentez, mais cet endroit va bientôt devenir un véritable champ de bataille. »
« Je sais. »
« Alors… »
« Alors quoi ? »
Encore une fois, Kaïm resta bouche bée. En la voyant ainsi, elle sourit et dit :
« Vous êtes un jeune homme bon. C’est plutôt rare pour un soldat. »
Pour la première fois son visage s’adoucit. Quand elle n’était pas irritée, son sourire devenait adorable.
« Quand cette endroit sera devenu un champ de bataille, des gens vont mourir. Beaucoup de gens. J’en suis consciente, ne vous en faite pas. Mais j’ai du travail, mon garçon. Me demander de tout arrêter et fuir revient à me demander de mourir. Puisque de toute façon je vais mourir dans peu de temps, j’aimerais que vous me laissiez faire ce que je veux. Ça ne devrait vous posez aucun problème. »
Kaïm resta silencieux. Non pas parce qu’encore une fois, il ne savait pas quoi répondre, mais parce qu’il pensait qu’elle avait raison. « Puisque de toute façon je vais mourir », avait-elle dit. Conscient que c’est mots ne pourraient jamais sortir de sa bouche. Kaïm n’avait d’autre solution que de respecter son choix en silence.
« Très bien, maintenant, filez, mon garçon, j’ai du travail. »
« Qu’est-ce que vous êtes en train de faire ? »
« Voyez par vous-même ! »
« Désolé, je n’y connais pas grand-chose. »
« Comme tous les autres soldats », dit la vieille Coto en souriant.
« Les gens comme vous ne pensent qu’à tuer des ennemis. Vous ne connaissez rien sur la culture. » Une fois encore, une pointe de tristesse transparut chez elle. Elle appréciait assez Kaïm pour lui faire la faveur de donner une explication.
« Je sème des graines », dit-elle.
Les graines de blé se sèment à l’automne, germent au cours de l’hiver, explosent au printemps et dorent les champs en été.
« Je fais toujours mes semis quand les cimes au nord deviennent blanches. Tous les ans, et cette année ne fera pas exception à la règle. »
Les graines germeraient-elles dans les champs piétinés ? Kaïm en doutait. Cependant mamie Coto ne montra pas le moindre signe d’inquiétude ou de résignation en dispersant les graines sur le sol fraîchement retourné. Ses mains reproduisaient les gestes ancestraux avec aisance et naturel, comme pour donner l’impression à Kaïm que ce qu’elle faisait cette année n’était ni plus nui moins que ce qu’elle avait fait tout au long de sa vie. De ce fait, les mots sortirent de la bouche de Kaïm avec une telle douceur qu’il en fut lui-mêm étonné.
« Et si les graines ne poussent pas ? »
« Alors je recommencerai l’année suivante. Et si l’année suivante est mauvaise, je le referai l’année d’après. Il faut semer des graines. C’est comme ça que h’ai vécu toute ma vie. Si on ne sème rien, rien ne pousse. Vous voyer ce que je veux dire ? »
« Je crois… »
« Qu’il y ai un combat ou non, peu importe. Je vais juste faire ce que j’ai à faire. C’est tout. »
Elle parlait avec certitude, son visage ridé s’adoucissant avec un sourire lorsqu’elle ajouta :
« On ne peut pas apprécier un repas si on sait que les choses n’ont pas été faites comme il se doit. »
« Vous êtes en train de dire que c’est ce qui donne un sens à votre vie ? »
C’était la question à laquelle Kaïm avait longtemps cherché une réponse. Pour quelle raison était-il dans ce monde ? Qu’était-il censé accomplir ici ? Il n’avait cessé de vagabonder dans cette vie sans fin sans connaître les réponses à ces questions, justement parce qu’il ne connaissait pas les réponses.
« Je ne me pose pas de telles questions », dit timidement mamie Coto.
« Je me contente de moudre le blé que j’ai récolté et de faire du pain à l’automne. Ce pain est très spécial. Rien n’est aussi bon que le premier pain pétri avec le blé cultivé dans l’année. C’est ce qu mon petit-fils attend impatiemment chaque année. Je ne vais me mettre à prendre une année sabbatique, n’est-ce pas ? »
« Je vois ce que vous voulez dire. »
« Non, vous ne voyez pas », déclara-t-elle. « Vous n’êtes qu’un soldat. »
A nouveau, son visage s’était endurci. Elle ne sourit plus de la journée.
Quand Kaïm retourna aux baraquements, un soldat en poste au village depuis plus de six mois lui dit : « Cette vieille peau ne peut pas nous supporter. »
« Parce qu’on a détruit le village ? »
« En partie, je suppose, mais pour elle, ça doit être plus profond que ça. »
Mamie Coto avait perdu toute sa famille à la guerre. Son mari était mort au combat quarante ans plus tôt, puis ce fut au tour de son fils et de sa femme qui périrent dans la guerre qui s’était déroulée vingt ans auparavant. Et aujourd’hui, son unique petit-fils devait combattre dans cette guerre.
« Il est dabs quelle unité ? », demanda Kaïm au soldat.
L’homme haussa les épaules et nomma une unité qui avait été envoyée dans une zone où les combats étaient des plus violents.
« Tu parles d’une veine ! Les affrontements sont tellement rude qu’à sa place, je préférerais me faire exécuter pour désertion. Il a peut-être une chance sur deux de revenir vivant. Non, plutôt une sur trois. »
Si son petit-fils venait à mourir, mamie Coto serait toute seule dans ce monde. Elle n’aurait plus personne à qui donner son pain.
« Ça doit être dur de se retrouver seul à cet âge », dit le soldat.
« Quand je voie mamie Coto, je ne peux m’empêcher de penser à ma mère. Il est hors de question que je me fasse tuer. Ça la ferait pleurer pour l’éternité. Pareil pour toi, hein Kaïm ? »
Kaïm ne répondit rien. Il n’avait pas le droit de se mettre dans la même catégorie que ce soldat. La batille commença trois jours plus tard. L’offensive ennemie était encore plus violente que prévu. Les forces de défense n’avaient d’autre choix que de mettre tout ce qu’elles avaient dans la bataille. Kaïm s’échappa du front et se rendit vers la maison de mamie Coto. Il la trouva prête à partir pour le champ, comme d’habitude. Elle ne montra aucun signe de peur concernant la bataille. Les gens qui connaissent exactement leur objectif et qui refusent obstinément d’être dérangés dans leur tâche, peuvent être plus fort que tout.
A cet instant, Kaïm comprit qu’un mortel pouvait être bien plus fort qu’un être destiné à vivre éternellement. Parce qu’il en avait si profondément conscience, il resta devant elle, en travers de son chemin. Il prit la vieille femme frêle dans ses bras et la ramena à bras-le-corps dans la maison.
« Qu’est-ce que vous faites ? Laissez-moi ! Je ne vais pas suivre les ordres d’un soldat ! J’ai du travail ! »
« Oui, je sais », répondit Kaïm.
« Alors, reposez-moi sur le sol ! »
« Je ne veux pas vous laisser mourir. »
La tenant contre sa poitrine, il la regarda dans les yeux et la supplia :
« Je veux que vous fassiez du pain l’automne prochain à partir d’une nouvelle récolte. »
Elle arrêta de remuer les bras et les jambes dans une tentative de se libérer de son étreinte. Elle le fixa elle aussi quand il dit :
« Tant que vous aurez quelqu’un à nourrir avec votre pain frais, je veux que vous continuiez à préparer du pain année après année. »
La vieille Coto poussa un gros soupir et bredouilla en souriant :
« Je savais que vous étiez un soldat étrange. »
La bataille fit rage pendant plusieurs jours. Le capitaine arrogant et peureux mourut au combat. Le soldat qui avait raconté l’histoire de mamie Coto à Kaïm mourut également. Les pertes furent incalculables chez les troupes de défense, de même que chez l’ennemi. Le village fut dévoré par les flammes de la guerre, et le champ de ma vieille Coto fut ravagé par le piétinement des soldats. Le camp de Kaïm réussit a retenir l’ennemi, et le fit battre en retraite vers le nord. La bataille terminée, il ne resta plus que le village désert et dévasté.
La guerre prit fin tandis que le printemps faisait place à l’été. Au prix de nombreuses pertes. L’armée avait repoussé l’invasion ennemie. Le village commença à ce remettre peu à peu. Comme mamie Coto l’avait prévue, aucune des personnes âgées qui avaient traversé les montagnes pour le camp de réfugiés ne revint en vie.
A l’automne, Kaïm revient au village. Ça lui fait chaud au cœur d’apercevoir la vieille Coto semer le blé dans le champ. Ainsi…elle recommence cette année. Et l’année prochaine, et encore l’année d’après, aussi longtemps qu’elle sera vivante. Elle remarque Kaïm et se dirige vers lui avec un sourire accueillant. Une année a passé. Elle semble avoir rapetissé.
« Ça faisait longtemps », dit-elle. « Alors, ils ne vous ont pas tué ! »
« Et je suis heureux de voir que vous aller bien, vous aussi. »
« On m’a dit que vous étiez resté près de ma maison pendant la bataille, et que vous avez combattu les troupes ennemies pour qu’elles ne s’en approchent pas ! »
Kaïm lui sourit timidement. « Et votre blé ? », demande-t-il.
« Tout a été détruit, bien sûr. La pire récolte que j’ai jamais eue, quelques maigres tiges, A peine assez pour un pain. »
Elle lui dit tout cela avec une aisance déconcertante. Puis, ses yeux s’arrêtent sur lui et elle demande : « Vous en voulez ? »
« Quoi… ? »
« Du pain, pardi ! J’en prépare un tout de suite si vous m’aidez à le manger. »
« Oui, bien sûr, mais… »
Mamie Coto comprit l’hésitation e Kaïm et lui dit en souriant calmement :
« Eh oui, mon petit-fils est mort. Je l’ai appris à la fin de l’été. Je l’attendais avec espoir…pensant lui préparer un pain dès son retour. »
En voyant Kaïm baisser la tête en silence, elle adopte un ton d’entrain, comme si elle devait le consoler :
« Allez, ce n’est rien, vous mangerez sa part. Il sera sûrement plus dur que d’habitude à cause de la récolte de cette année, mais je suis sûre que mon petit-fils serait heureux de savoir que je nourris l’homme qui m’a sauvé la vie. »
Ainsi, cette vieille femme a perdu toute sa famille à la guerre. En un mot, il ne reste personne pour profiter de son pain. Cependant, elle demande avec empressement à Kaïm : « Attendez juste une minute, que je finisse ça ». Elle est en train de semer les graines pour la récolte suivante. Elle fait ça parce que c’est ce qu’elle a toujours fait, parce que c’est ce qu’elle est censée faire. Kaïm se retient de lui proposer son aide et reste immobile, à regarder la vieille Coto toute courbée. A la lumière du soleil crépusculaire de l’automne, elle est tristement petite et tristement belle.
Kaïm mange le pain fraîchement préparé. La vieille Coto avait raison : Préparé avec du blé dont on ne s’est pas occupé correctement, le pain est dur, sec et fade. Pourtant, de tous les pains qu’il a mangés et qu’il mangera dans son infinie longue vie, c’est de loin le meilleur.
Entouré de montagnes où de grands axes s’entrecroisent. Le village est un point stratégique pour le transport. Il ne faut en aucun cas qu’il tombe entre les mains ennemies. S’il venait à le capturer, l’adversaire aurait de grandes chances de gagner la guerre. De longues années de combats reposent désormais sur cette bataille majeure. C’est une bataille inévitable. La logique est claire, simple, implacable. Et elle va faire de ce village paisible un champ de bataille d’un moment à l’autre.
L’armée a ordonné aux villageois d’évacuer les lieux. Les civils ne pourraient qu’entraver le bon déroulement des évènements.
« L’ennemi veut en finir avant que le temps ne se refroidisse. »
« Alors, qu’est-ce que ça veut dire ? Encore un mois ? Deux semaines ? »
« Vos affaires sont prêtes ? Pas la peine de se retrouver en plein milieu de la bataille et de se faire tuer. A quoi bon mourir pour rien ! »
« Laissez tomber le superflu. Chargez-vous le moins possible et partez le plus loin que vous pourrez. »
« Quand je pense à tous nos ancêtres qui ont protégé nos maison et nos terres, je n’arrive pas à me dire que tout cela va être détruit une fois le combat commencé… »
« On ne peut rien y faire. C’est la faute à pas de chance, c’est tout. »
« Il faut juste qu’on s’accroche jusqu’à la fin de la guerre et on reviendra quand on saura qui a gagné. »
« Pour l’instant, le plus important, c’est de partir d’ici. »
« C’est vrai, c’est tout ce qu’on peut faire. »
« On doit rester en vie. Mieux vaut tout perdre due mourir. »
« Pourquoi est-ce qu’il faut que ça nous arrive ? »
Les villageois partent par petits groupes, les premiers cherchant des abris temporaires. Le temps que la forêt ne se teinte légèrement rouge, le village est quasiment désert. Les seuls habitants sont désormais les personnes âgées, qui vivent seuls et qui n’ont nulle part où aller. L’armée a construit un camp de réfugiés rudimentaire pour les personnes capables de traverser plusieurs montagnes pour l’atteindre. Les pauvres personnes âgées chancellent déjà sous le poids des vêtements qu’elles portent sur le dos…
La seule personne restant dans le village est mamie Coto.
Alors mercenaire, Kaïm rencontra la vieille Coto peu après avoir rejoint l’unité protégeant le village. Ce jour-là, il faisait son tour de garde quant il aperçut une vieille femme travaillant dans les champs. C’était mamie Coto.
Un soldat qu l’accompagnait lui cria : « Hé, vieille femme, ça suffit ! »
Un autre hurla : « Vous feriez mieux de partir d’ici maintenant si vous voulez rester en vie. La bataille va commencer dans deux ou trois jours. Combien de fois faudra-t-il qu’on vous dise de rejoindre le camp de réfugiés ? »
La vieille Coto resta courbée, à travailler la terre. Manifestement, elle ne récoltait rien. Si la scène s’était passée à l’époque où les cultures arrivent à maturité, ça aurai eu du sens qu’elle se dépêche de tout récolter. En fait, elle se contentait de retourner la terre, comme si elle avait oublié qu’une bataille était sur le point d’éclater.
« Est-ce que la vieille est sourde ? Ou juste sénile ? »
D’un air dégoûté, le capitaine appela Kaïm : « Hé, le nouveau ! Occupe-toi d’elle ! Emmène-la au camp de réfugiés. Traîne la par les pieds s’il le faut ! On ne peut pas se permettre de l’avoir dans les pattes. Elle va nous gêner plus qu’autre chose quand la bataille aura commencé. »
Le capitaine avait un ton arrogant. Plus un officier est peureux, plus il devient fier et dominateur, et moins il arrive à cacher sa nervosité à l’approche d’une bataille. Sans rien dire Kaïm se dirigea à grands pas vers la vieille femme dans le champ.
« On avance ! », lui lança le capitaine, mais il ne se retourna pas. Quelques jours suffiraient pour décider de l’issue de la bataille pour le village, ce qui illustre bien à quel point elle s’annonçait violente. Travailler dans les champs était désormais utile. Même le lopin de terre le plus soigné serait piétiné par les bottes des soldats. La récolte de l’année suivante n’était plus à l’ordre du jour. Et personne ne savait combien d’années seraient nécessaires pour que le village retrouve sa tranquillité.
Quand Kaïm s’approcha d’elle dans le champ, la vieille femme continua de travailler et dit :
« N’essayer pas de m’arrêter ! »
De près, elle paraissait bien plus forte que de loin. Il s’agissait certainement d’une de ces vieilles personnes têtues et grincheuses que les villageois n’osaient pas approcher en temps de paix.
« Vous n’allez pas partir ? », demanda Kaïm.
« Pour aller Où ? », lui cracha-t-elle.
« Ils ont construit un camp où vous pouvez vous rendre… »
La vieille Coto grommela et dit à Kaïm :
« Vous êtes nouveau. Je ne vous ai jamais vu. »
« Oui… »
« Alors vous ne savez même pas à quoi ressemble le camp. Vous, les soldats, vous n’avez à vous inquiéter de rien. »
« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »
La vieille Coto ne dit rien mais montra la montagne escarpée, dressée comme un décor sur la façade ouest du village. Kaïm demanda : « C’est là-bas qu’est le camp ? »
« Bien sûr que non, il faut traverser cette montagne et encore une autre pour y arriver. Personne de mon âge ne peut marcher aussi loin. Pourquoi construire un camp dans un endroit pareil ? A leur avis, combien de personnes âgées y arriveront ? Ils pourraient aussi bien nous abandonner à notre triste sort comme au bon vieux temps. »
Kaïm ne sut quoi répondre. Continuant à creuser, la vieille femme grogna : « C’est toujours pareil avec le gouvernement »
Elle était de toute évidence en colère mais sûrement aussi très triste.
« Vous faites votre tour de garde, hein ? Alors je ne vais pas vous retenir plus longtemps… »
« Non, vous voyez… »
« Vous ne m’obligerez pas à aller dans ce maudit camp de réfugiés. Pas la peine d’insister. Je ne vais nulle part. C’est le village où je suis née et j’ai passé toute ma vie ici. »
« Je comprends ce que vous ressentez, mais cet endroit va bientôt devenir un véritable champ de bataille. »
« Je sais. »
« Alors… »
« Alors quoi ? »
Encore une fois, Kaïm resta bouche bée. En la voyant ainsi, elle sourit et dit :
« Vous êtes un jeune homme bon. C’est plutôt rare pour un soldat. »
Pour la première fois son visage s’adoucit. Quand elle n’était pas irritée, son sourire devenait adorable.
« Quand cette endroit sera devenu un champ de bataille, des gens vont mourir. Beaucoup de gens. J’en suis consciente, ne vous en faite pas. Mais j’ai du travail, mon garçon. Me demander de tout arrêter et fuir revient à me demander de mourir. Puisque de toute façon je vais mourir dans peu de temps, j’aimerais que vous me laissiez faire ce que je veux. Ça ne devrait vous posez aucun problème. »
Kaïm resta silencieux. Non pas parce qu’encore une fois, il ne savait pas quoi répondre, mais parce qu’il pensait qu’elle avait raison. « Puisque de toute façon je vais mourir », avait-elle dit. Conscient que c’est mots ne pourraient jamais sortir de sa bouche. Kaïm n’avait d’autre solution que de respecter son choix en silence.
« Très bien, maintenant, filez, mon garçon, j’ai du travail. »
« Qu’est-ce que vous êtes en train de faire ? »
« Voyez par vous-même ! »
« Désolé, je n’y connais pas grand-chose. »
« Comme tous les autres soldats », dit la vieille Coto en souriant.
« Les gens comme vous ne pensent qu’à tuer des ennemis. Vous ne connaissez rien sur la culture. » Une fois encore, une pointe de tristesse transparut chez elle. Elle appréciait assez Kaïm pour lui faire la faveur de donner une explication.
« Je sème des graines », dit-elle.
Les graines de blé se sèment à l’automne, germent au cours de l’hiver, explosent au printemps et dorent les champs en été.
« Je fais toujours mes semis quand les cimes au nord deviennent blanches. Tous les ans, et cette année ne fera pas exception à la règle. »
Les graines germeraient-elles dans les champs piétinés ? Kaïm en doutait. Cependant mamie Coto ne montra pas le moindre signe d’inquiétude ou de résignation en dispersant les graines sur le sol fraîchement retourné. Ses mains reproduisaient les gestes ancestraux avec aisance et naturel, comme pour donner l’impression à Kaïm que ce qu’elle faisait cette année n’était ni plus nui moins que ce qu’elle avait fait tout au long de sa vie. De ce fait, les mots sortirent de la bouche de Kaïm avec une telle douceur qu’il en fut lui-mêm étonné.
« Et si les graines ne poussent pas ? »
« Alors je recommencerai l’année suivante. Et si l’année suivante est mauvaise, je le referai l’année d’après. Il faut semer des graines. C’est comme ça que h’ai vécu toute ma vie. Si on ne sème rien, rien ne pousse. Vous voyer ce que je veux dire ? »
« Je crois… »
« Qu’il y ai un combat ou non, peu importe. Je vais juste faire ce que j’ai à faire. C’est tout. »
Elle parlait avec certitude, son visage ridé s’adoucissant avec un sourire lorsqu’elle ajouta :
« On ne peut pas apprécier un repas si on sait que les choses n’ont pas été faites comme il se doit. »
« Vous êtes en train de dire que c’est ce qui donne un sens à votre vie ? »
C’était la question à laquelle Kaïm avait longtemps cherché une réponse. Pour quelle raison était-il dans ce monde ? Qu’était-il censé accomplir ici ? Il n’avait cessé de vagabonder dans cette vie sans fin sans connaître les réponses à ces questions, justement parce qu’il ne connaissait pas les réponses.
« Je ne me pose pas de telles questions », dit timidement mamie Coto.
« Je me contente de moudre le blé que j’ai récolté et de faire du pain à l’automne. Ce pain est très spécial. Rien n’est aussi bon que le premier pain pétri avec le blé cultivé dans l’année. C’est ce qu mon petit-fils attend impatiemment chaque année. Je ne vais me mettre à prendre une année sabbatique, n’est-ce pas ? »
« Je vois ce que vous voulez dire. »
« Non, vous ne voyez pas », déclara-t-elle. « Vous n’êtes qu’un soldat. »
A nouveau, son visage s’était endurci. Elle ne sourit plus de la journée.
Quand Kaïm retourna aux baraquements, un soldat en poste au village depuis plus de six mois lui dit : « Cette vieille peau ne peut pas nous supporter. »
« Parce qu’on a détruit le village ? »
« En partie, je suppose, mais pour elle, ça doit être plus profond que ça. »
Mamie Coto avait perdu toute sa famille à la guerre. Son mari était mort au combat quarante ans plus tôt, puis ce fut au tour de son fils et de sa femme qui périrent dans la guerre qui s’était déroulée vingt ans auparavant. Et aujourd’hui, son unique petit-fils devait combattre dans cette guerre.
« Il est dabs quelle unité ? », demanda Kaïm au soldat.
L’homme haussa les épaules et nomma une unité qui avait été envoyée dans une zone où les combats étaient des plus violents.
« Tu parles d’une veine ! Les affrontements sont tellement rude qu’à sa place, je préférerais me faire exécuter pour désertion. Il a peut-être une chance sur deux de revenir vivant. Non, plutôt une sur trois. »
Si son petit-fils venait à mourir, mamie Coto serait toute seule dans ce monde. Elle n’aurait plus personne à qui donner son pain.
« Ça doit être dur de se retrouver seul à cet âge », dit le soldat.
« Quand je voie mamie Coto, je ne peux m’empêcher de penser à ma mère. Il est hors de question que je me fasse tuer. Ça la ferait pleurer pour l’éternité. Pareil pour toi, hein Kaïm ? »
Kaïm ne répondit rien. Il n’avait pas le droit de se mettre dans la même catégorie que ce soldat. La batille commença trois jours plus tard. L’offensive ennemie était encore plus violente que prévu. Les forces de défense n’avaient d’autre choix que de mettre tout ce qu’elles avaient dans la bataille. Kaïm s’échappa du front et se rendit vers la maison de mamie Coto. Il la trouva prête à partir pour le champ, comme d’habitude. Elle ne montra aucun signe de peur concernant la bataille. Les gens qui connaissent exactement leur objectif et qui refusent obstinément d’être dérangés dans leur tâche, peuvent être plus fort que tout.
A cet instant, Kaïm comprit qu’un mortel pouvait être bien plus fort qu’un être destiné à vivre éternellement. Parce qu’il en avait si profondément conscience, il resta devant elle, en travers de son chemin. Il prit la vieille femme frêle dans ses bras et la ramena à bras-le-corps dans la maison.
« Qu’est-ce que vous faites ? Laissez-moi ! Je ne vais pas suivre les ordres d’un soldat ! J’ai du travail ! »
« Oui, je sais », répondit Kaïm.
« Alors, reposez-moi sur le sol ! »
« Je ne veux pas vous laisser mourir. »
La tenant contre sa poitrine, il la regarda dans les yeux et la supplia :
« Je veux que vous fassiez du pain l’automne prochain à partir d’une nouvelle récolte. »
Elle arrêta de remuer les bras et les jambes dans une tentative de se libérer de son étreinte. Elle le fixa elle aussi quand il dit :
« Tant que vous aurez quelqu’un à nourrir avec votre pain frais, je veux que vous continuiez à préparer du pain année après année. »
La vieille Coto poussa un gros soupir et bredouilla en souriant :
« Je savais que vous étiez un soldat étrange. »
La bataille fit rage pendant plusieurs jours. Le capitaine arrogant et peureux mourut au combat. Le soldat qui avait raconté l’histoire de mamie Coto à Kaïm mourut également. Les pertes furent incalculables chez les troupes de défense, de même que chez l’ennemi. Le village fut dévoré par les flammes de la guerre, et le champ de ma vieille Coto fut ravagé par le piétinement des soldats. Le camp de Kaïm réussit a retenir l’ennemi, et le fit battre en retraite vers le nord. La bataille terminée, il ne resta plus que le village désert et dévasté.
La guerre prit fin tandis que le printemps faisait place à l’été. Au prix de nombreuses pertes. L’armée avait repoussé l’invasion ennemie. Le village commença à ce remettre peu à peu. Comme mamie Coto l’avait prévue, aucune des personnes âgées qui avaient traversé les montagnes pour le camp de réfugiés ne revint en vie.
A l’automne, Kaïm revient au village. Ça lui fait chaud au cœur d’apercevoir la vieille Coto semer le blé dans le champ. Ainsi…elle recommence cette année. Et l’année prochaine, et encore l’année d’après, aussi longtemps qu’elle sera vivante. Elle remarque Kaïm et se dirige vers lui avec un sourire accueillant. Une année a passé. Elle semble avoir rapetissé.
« Ça faisait longtemps », dit-elle. « Alors, ils ne vous ont pas tué ! »
« Et je suis heureux de voir que vous aller bien, vous aussi. »
« On m’a dit que vous étiez resté près de ma maison pendant la bataille, et que vous avez combattu les troupes ennemies pour qu’elles ne s’en approchent pas ! »
Kaïm lui sourit timidement. « Et votre blé ? », demande-t-il.
« Tout a été détruit, bien sûr. La pire récolte que j’ai jamais eue, quelques maigres tiges, A peine assez pour un pain. »
Elle lui dit tout cela avec une aisance déconcertante. Puis, ses yeux s’arrêtent sur lui et elle demande : « Vous en voulez ? »
« Quoi… ? »
« Du pain, pardi ! J’en prépare un tout de suite si vous m’aidez à le manger. »
« Oui, bien sûr, mais… »
Mamie Coto comprit l’hésitation e Kaïm et lui dit en souriant calmement :
« Eh oui, mon petit-fils est mort. Je l’ai appris à la fin de l’été. Je l’attendais avec espoir…pensant lui préparer un pain dès son retour. »
En voyant Kaïm baisser la tête en silence, elle adopte un ton d’entrain, comme si elle devait le consoler :
« Allez, ce n’est rien, vous mangerez sa part. Il sera sûrement plus dur que d’habitude à cause de la récolte de cette année, mais je suis sûre que mon petit-fils serait heureux de savoir que je nourris l’homme qui m’a sauvé la vie. »
Ainsi, cette vieille femme a perdu toute sa famille à la guerre. En un mot, il ne reste personne pour profiter de son pain. Cependant, elle demande avec empressement à Kaïm : « Attendez juste une minute, que je finisse ça ». Elle est en train de semer les graines pour la récolte suivante. Elle fait ça parce que c’est ce qu’elle a toujours fait, parce que c’est ce qu’elle est censée faire. Kaïm se retient de lui proposer son aide et reste immobile, à regarder la vieille Coto toute courbée. A la lumière du soleil crépusculaire de l’automne, elle est tristement petite et tristement belle.
Kaïm mange le pain fraîchement préparé. La vieille Coto avait raison : Préparé avec du blé dont on ne s’est pas occupé correctement, le pain est dur, sec et fade. Pourtant, de tous les pains qu’il a mangés et qu’il mangera dans son infinie longue vie, c’est de loin le meilleur.
« Cher frère ! »
Le cri vient de derrière alors qu’il se faufile dans la foule. Au début, Kaïm n’est pas conscient que la personne s’adresse à lui et il continue de marcher à la recherche d’un logement pour la nuit. Mais le cri se réitère tout près de lui : « Cher frère ! Grand frère ! » C’est curieux. La dernière fois qu’il est venu dans cette ville, c’était il y a quatre-vingts ans. Personne ici ne peu le connaître.
« Attends, grand frère ! Ne t’en va pas ! »
Au départ étonné, il devient intrigué, car la voix qui l’appelle « grand frère » appartient à une vieille femme. Sans baisser sa garde, il se retourne lentement. Comme il le pensait, il s’agit d’une femme âgée. Habillée comme une petite fille, la minuscule vieille femme regarde Kaïm droit dans les yeux avec un grand sourire.
« Je pense que vous vous méprenez », dit-il en montrant sa gêne.
« Non, pas du tout », répond-elle en secouant la tête et en souriant. « Vous êtes grand frère Kaïm ! »
« Quoi…? »
« Qu’est-ce qui se passe, Kaïm, tu m’as oubliée ? »
« Heu…non…je veux dire… »
Il n’arrive pas à se souvenir d’elle. Même s’il y était parvenu, il sait qu’il ne connaît personne dans cette ville. Il se demande si ça pourrait être une personne qu’il aurait rencontrée sur la route autrefois ? Il est pourtant certain de ne pas la reconnaître et le plus étrange reste la raison pour laquelle cette femme qui pourrait être sa grand-mère l’appelle « grand frère » ?
« Ne fais pas semblant de ne pas me reconnaître, Kaïm ! C’est si méchant ! »
Elle lui cri si fort dessus que les gens dans la foule s’arrêtent pour les observer. Ce n’est pas seulement parce qu’elle crie, bien sûr. Les gens finissent toujours par crier pour ce faire entendre dans une rue bondée. Les cris seuls n’attireraient pas l’attention. La voix de la vieille femme n’est pas celle d’un adulte ordinaire. Elle ressemble plus à la voix innocente, sans retenue d’une petite fille qui met toute son âme dans ses paroles.
Les gens lancent un regard choqué vers la vieille femme avant de vite détourner les yeux. Leur désarroi est compréhensible. La vieille femme a les cheveux d’un blanc éclatant, attachés avec un ruban de couleur. Sa robe à fleurs et avec des manches à pois est identique à celle d’une petite fille. De nombreux passants la regardent avec un m mélange de sympathie et de pitié. Peu a peu, Kaïm commence à saisir la situation. Cette vieille femme a simplement vécu trop longtemps. C’est pourquoi le passé, emprisonné dans sa mémoire, est devenu plus réel pour elle que la réalité qu’elle a sous les yeux. Un passant entre deux âges tire le bras de Kaïm.
« Si j’était vous, je poursuivrais simplement mon chemin. Ne vous approchez pas d’elle. Elle ne vous apportera que des problèmes. »
« C’est vrai », dit la femme à ses côtés en hochant la tête. « Vous ne vivez pas ici, du coup, vous ne savez pas que cette vieille femme est sénile. Vous n’avez qu’à l’ignorer. Elle oubliera tout dans cinq minutes. »*
Ils ont peut-être raison, mais le fait est que cette vieille femme connaît le nom de Kaïm. Dans la case de son esprit correspondant à l’enfance, elle considère Kaïm comme son « grand frère »
Il tente de sonder sa mémoire lointaine. Il n’a séjourné que quelques jours ici et c’était il y a très longtemps. Il n’a rencontré que très peu de gens et aucun ne peut être encore vivant. Quand Kaïm se poste devant la vieille femme, le couple de fouineurs est indigné.
« Voilà ce qu’on obtient quand on essaie d’aider quelqu’un ! », grommelle le mari. Sa femme ajoute : « Laisse-les se débrouiller tout seuls et partons. » Et c’est exactement ce qu’ils font.
Haussant la voix qui devient alors stridente, la vieille femme les interpelle alors qu’ils rouspètent : « Ne m’oubliez pas maintenant, entendu ? »
A cet instant, la mémoire de Kaïm fait le lien. La vieille femme découvre avec joie dans son regard qu’il l’a enfin reconnue.
« Tu te souviens de moi maintenant ? », crie-t-elle, « Je suis Shushu. C’est moi…Shushu ! »
Il se souvient effectivement de cette fille qu’il avait rencontrée dans cette ville quatre-vingts ans plus tôt. A l’époque, elle avait entre cinq et six ans. C’était une enfant précoce. Loin d’être timide avec les étrangers, car son père était aubergiste.
Elle avait certainement entendu cette expression quelque part et du coup, à chaque fois qu’un invité partait après avoir séjourné à l’auberge, au lieu de dire simplement « au revoir » ou « merci », elle souriait et lançait un joyeux « Ne m’oubliez pas maintenant, entendu ? »
Seulement maintenant, quand il peut soudain voir la fillette qui se cache sous les rides, Kaïm doit détourner le regard.
«Qu’est-ce qu’il se passe, grand frère ? »
Il est incapable d’affronter directement le regard vide de Shushu. Quatre-vingts abs se sont écoulés ! Qu’est-ce qu’un homme qui ne vieillit pas peut avoir à raconter à une fillette issue d’un lointain passé et qui a trop vieilli ?
« Laissez-moi passer s’il vous plait, désolé, laissez-moi passer s’il vous plait. »
Se frayant un passage dans la foule, un jeune homme se précipite vers Shushu et Kaïm ; « Arrière-grand-mère ! Combien de fois dois-je te répéter de ne pas sortir sans m’avertir ? »
Après avoir réprimandé la vieille femme, il se retourne vers Kaïm, se courbant e signe d’excuse.
« Je suis profondément désolé si elle vous a ennuyé. Elle est âgée et de plus en plus sénile. Veuillez la pardonner. »
Shushu fait une moue désapprobatrice et demande :
« De quoi parles-tu ? Je ne fais que jouer avec grand frère Kaïm. Qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ? »
Elle regarde le jeune homme et rajoute : »Qui êtes-vous ? »
Le jeune homme lance un regard triste à Kaïm et se met à s’excuser de nouveau. Avec un sourire affligé, Kaïm m’arrête. Kaïm sait que parfois une vie peut être plus triste et déchirante quand elle est prolongée que quand elle est écourtée. Cependant, une vie a beau être terriblement triste et déchirante, personne n’a le droit de la mépriser.
« Elle ne comprend simplement pas qu’elle est vieille. Même si je lui présentais un miroir, elle me demanderait qui est cette vieille femme. »
Le jeune homme qu’i s’appelle Khache explique plus précisément la situation à Kaïm :
« Elle peut oublier qu’elle a pris un petit-déjeuner, alors que ses souvenirs d’enfance son intacts. »
Kaïm acquiesce silencieusement. Khasche et Kaïm s’assoient sur un banc de la place et regardent Shushu cueillir des fleurs. Elle semble composer un couronne de fleurs pour son « grand frère » de retour après une si longue absence.
« Mais, Monsieur, vous avez du temps devant vous ? Vous n’étiez pas pressé d’aller quelque part ? »
« Non, ça va. Ne vous inquiétez pas. »
« Merci beaucoup »
Il sourit pour la première fois et dut : « Ça fait des lustres que je ne l’ai pas vue si heureuse. »
Le jeune homme semble convaincu que son arrière-grand-mère a retrouvé en Kaïm une personne qui ressemble à quelqu’un qu’elle connaissait enfant. Kaïm ne le contredit pas. Il sait que Khasche est incapable d’imaginer l’existence d’une personne qui ne vieillit jamais et il n’a pas besoin de l’envisager de toute façon.
« Sa santé s’est beaucoup détériorée dernièrement. A chaque fois qu’elle a une poussé de fièvre, on se demande si c’est bientôt la fin et on se prépare au pire. Mais elle s’en remet. Parfois, on plaisante en disant que son esprit est une telle passoire qu’elle en a mêle oublié de mourir. »
Kaïm observe le jeune homme de profil. Khasche a un sourire adorable sur le visage quand il parle de son arrière-grand-mère. Ça ne fait aucun doute qu’elle s’en occupait et jouait avec lui quand il était enfant. Adulte aujourd’hui, Khasche prend soin de son arrière-grand-mère comme un père avec sa propre fille.
Il lui dit : « C’est jolie, arrière-grand-mère. Je ne t’ai pas vue faire de bouquet depuis longtemps ! »
Accroupie dans l’herbe, les fleurs à la main. Shushu répond :
« C’est faux, Je lui ai fait un bouquet hier ! »
Puis elle dit à Kaïm :
« Hein, c’est vrai, grand frère ? Tu l’as même mis dans tes cheveux pour me faire plaisir, n’est-ce pas ? »
Kaïm met ses mains autour de sa bouche et lui répond :
« Évidement, ça sentait si bon ! »
Le visage de Shushu se plisse de joie. Submergé par l’émotion. Khasche baisse la tête. Kaïm demande à Khasche : « C’est vous qui prenez soin d’elle ? »
« Oui, oui, avec ma femme Cynthia. »
« Que font vos parents ? Ou même vos grands-parents ? Sont-ils toujours vivants ? »
Khasche hausse les épaules et répond :
« Mon arrière-grand-mère et moi somme les deux seuls membres de la famille encore vivants. »
Ses grands-parents sont morts tous les deux suite à une épidémie il y a vingt ans. Son père a péri pendant la guerre qui eut lieu dans cette région il y a dis ans. Sa mère, la petite-fille de Shushu, a vieilli plus vite que sa propre mère et elle s’est éteinte il y a cinq ans.
« Mon arrière-grand-mère a dû assister à toutes ces funérailles au fil des années ; celles de ses enfants et de ses petits-enfants. Avant qu’on s’en rende compte, elle était devenue la personne la plus âgée de la ville. On doit se sentir très seul dans cette situation… »
« C’est sûr », répond Kaïm.
« C’est certainement une faveur divine de laisser l’esprit divaguer quand un individu vit trop longtemps. Enfin, c’est comme ça que je vois les choses ces derniers temps. On pourrait croire qu’elle se sent seule après avoir perdu tous ces proches, mais pas du tout. Vivre longtemps permet de cultiver de nombreux souvenir. Ce n’est peut être pas une si mauvaise chose de vivre dans ses souvenirs au terme de sa vie.
Shushu se relève, les bras remplis de fleurs.
« Grand frère Kaïm ! Je vais faire une couronne de fleurs rien que pour toi ! S’il me reste des fleurs, j’en ferai une deuxième pour quelqu’un d’autre. »
Perplexes, Kaïm et Khashe se regardent en souriant.
« Pourquoi souriez-vous ainsi ? », demande Shushu. « Vous êtes amis maintenant ? »
Surprise, elle écarquille ses yeux ridés, fait un grand sourire aux deux hommes et s’effondre dans l’herbe. Khasche se met a courir à la recherche d’un médecin, mais Kaïm le retient en lui saisissant le bras et dit : « Vous feriez mieux de rester à ses côtés. »
Ironiquement, Kaïm, qui ne pourra jamais véritablement savoir ce que cela fait de vieillir, a assisté à d’innombrables morts au fil des années. Grâce à son expérience, il est convaincu que Shushu ne s’en remettra pas cette fois. Shushu repose sur le dos, à l’endroit où elle est tombée, sa brassée de fleurs désormais étalée sur a poitrine.
Elle sourit.
« Attends une minute, grand frère Kaïm. Je te donne la couronne de fleurs tout de suite… »
Son esprit erre toujours dans les souvenirs du passé. Restera-t-elle dans cet état jusqu’à la fin ?
« Continue à te battre, arrière-grand-mère ! Ne laisse pas tomber ! », Khasche prend sa main et l’encourage tout en fondant en larmes, mais il se peut qu’elle n’ai même pas conscience qu’il s’agisse de son petit-fils.
« C’est moi, arrière-grand-mère, c’est moi, Khasche ! Tu ne pas oublié, hein ? J’ai fait ta toilette hier soir, Tu savais qui j’étais à ce moment-là, non ? »
Khasche l’implore de toutes ses forces.
Mais Shushu, un sourire enfantin aux lèvres, est en train de partir pour l’autre monde.
« Je vais bientôt être père, arrière-grand-mère ! Tu t’en souviens ? Je te l’ai dit hier soir, Cynthia est enceinte. Ça fera de toi une arrière-arrière-grand-mère ! Notre famille s’agrandira… Une nouvelle personne de même sang que toi. »
Toujours souriante, Shushu prend entre ses doigts tremblants une des fleurs sur sa poitrine. Elle la pousse vers Khasche et dans un murmure, elle dit :
« Ne m’oublie pas maintenant, entendu ? »
Khasche ne comprend pas. C’est normal: comment aurait-il pu connaître l’expression qu’elle utilisait toujours bien avant qu’il soit né ?
Kaïm pose son bras sur l’épaule de Khasche et dit : « Répondez-lui »
« Je comprends, arrière-grand-mère, jamais je ne t’oublierai. C’est impossible. Comment pourrais-je oublier mon arrière-grand-mère ? »
« Ne m’oublie pas maintenant, entendu ? »
« Jamais je ne t’oublierai, arrière-grand-mère, crois-moi. Je me souviendrai de toi toute ma vie. »
« Ne m’oublie pas maintenant, entendu ? »
Shushu ferme les yeux et pose une main sur les fleurs étalées sur sa poitrine comme si elle cherchait quelque chose à tâtons. On dirait presque qu’elle essaie d’ouvrir la porte de ses souvenirs.
Une légère brise l’effleure.
Les fleurs sur sa poitrine vacillent au gré du vent comme les souvenirs. Parmi ses souvenirs se trouve certainement le Kaïm d’il y a quatre-vingts ans. Kaïm attrape un pétale dans le vent et l’enferme dans la paume de sa main. Shushu ne rouvrira plus les yeux. Elle entame un voyage dans un monde où le passé comme le présent n’existe pas. Les seuls qu’elle abandonne sont Kaïm, qui continuera à vivre pour toujours, et Khasche, qui est sur le point d’accueillir un nouvelle être dans ce monde.
S’accrochant au corps de sont arrière-grand-mère Khasche, en pleurs, relève la tête pour regarder Kaïm.
« Merci mille fois », dit-il à Kaïm le voyageur. « Grâce à vous, mon arrière-grand-mère a connu le bonheur de conclure sa vie en cueillant des fleurs. »
« Je n’y suis pour rien », répond Kaïm.
Il referme la main sur le pétale et dit à Klassche :
« Je suis sûr que si elle avait eu le temps de faire un bouquet, elle l’aurait offert à l’adorable nouveau-né. »
Khasche penche timidement la tête et murmure : « J’espère que vous avez raison. » Puis, esquissant un sourire à travers ses larmes, il affirme :
« Je suis sûr que vous avez raison. »
« A propos de la promesse que vous lui avez faite. Comportez-vous bien et ne l’oubliez pas. »
« Non, bien sûr… »
« Les gens continuent de vivre dans la mémoire des survivants. »
Sur ces mots, Kaïm s’en va lentement. Derrière lui, il entend la voix de Shushu.
Ne m’oublie pas maintenant, grand frère Kaïm, entendu ?
C’est la voix de la fillette il y a quatre-vingts ans qui résonne toujours plus clairement. Douce et innocente, faisant ses adieux à l’homme qui voyagera dans la vie pour l’éternité.
Le cri vient de derrière alors qu’il se faufile dans la foule. Au début, Kaïm n’est pas conscient que la personne s’adresse à lui et il continue de marcher à la recherche d’un logement pour la nuit. Mais le cri se réitère tout près de lui : « Cher frère ! Grand frère ! » C’est curieux. La dernière fois qu’il est venu dans cette ville, c’était il y a quatre-vingts ans. Personne ici ne peu le connaître.
« Attends, grand frère ! Ne t’en va pas ! »
Au départ étonné, il devient intrigué, car la voix qui l’appelle « grand frère » appartient à une vieille femme. Sans baisser sa garde, il se retourne lentement. Comme il le pensait, il s’agit d’une femme âgée. Habillée comme une petite fille, la minuscule vieille femme regarde Kaïm droit dans les yeux avec un grand sourire.
« Je pense que vous vous méprenez », dit-il en montrant sa gêne.
« Non, pas du tout », répond-elle en secouant la tête et en souriant. « Vous êtes grand frère Kaïm ! »
« Quoi…? »
« Qu’est-ce qui se passe, Kaïm, tu m’as oubliée ? »
« Heu…non…je veux dire… »
Il n’arrive pas à se souvenir d’elle. Même s’il y était parvenu, il sait qu’il ne connaît personne dans cette ville. Il se demande si ça pourrait être une personne qu’il aurait rencontrée sur la route autrefois ? Il est pourtant certain de ne pas la reconnaître et le plus étrange reste la raison pour laquelle cette femme qui pourrait être sa grand-mère l’appelle « grand frère » ?
« Ne fais pas semblant de ne pas me reconnaître, Kaïm ! C’est si méchant ! »
Elle lui cri si fort dessus que les gens dans la foule s’arrêtent pour les observer. Ce n’est pas seulement parce qu’elle crie, bien sûr. Les gens finissent toujours par crier pour ce faire entendre dans une rue bondée. Les cris seuls n’attireraient pas l’attention. La voix de la vieille femme n’est pas celle d’un adulte ordinaire. Elle ressemble plus à la voix innocente, sans retenue d’une petite fille qui met toute son âme dans ses paroles.
Les gens lancent un regard choqué vers la vieille femme avant de vite détourner les yeux. Leur désarroi est compréhensible. La vieille femme a les cheveux d’un blanc éclatant, attachés avec un ruban de couleur. Sa robe à fleurs et avec des manches à pois est identique à celle d’une petite fille. De nombreux passants la regardent avec un m mélange de sympathie et de pitié. Peu a peu, Kaïm commence à saisir la situation. Cette vieille femme a simplement vécu trop longtemps. C’est pourquoi le passé, emprisonné dans sa mémoire, est devenu plus réel pour elle que la réalité qu’elle a sous les yeux. Un passant entre deux âges tire le bras de Kaïm.
« Si j’était vous, je poursuivrais simplement mon chemin. Ne vous approchez pas d’elle. Elle ne vous apportera que des problèmes. »
« C’est vrai », dit la femme à ses côtés en hochant la tête. « Vous ne vivez pas ici, du coup, vous ne savez pas que cette vieille femme est sénile. Vous n’avez qu’à l’ignorer. Elle oubliera tout dans cinq minutes. »*
Ils ont peut-être raison, mais le fait est que cette vieille femme connaît le nom de Kaïm. Dans la case de son esprit correspondant à l’enfance, elle considère Kaïm comme son « grand frère »
Il tente de sonder sa mémoire lointaine. Il n’a séjourné que quelques jours ici et c’était il y a très longtemps. Il n’a rencontré que très peu de gens et aucun ne peut être encore vivant. Quand Kaïm se poste devant la vieille femme, le couple de fouineurs est indigné.
« Voilà ce qu’on obtient quand on essaie d’aider quelqu’un ! », grommelle le mari. Sa femme ajoute : « Laisse-les se débrouiller tout seuls et partons. » Et c’est exactement ce qu’ils font.
Haussant la voix qui devient alors stridente, la vieille femme les interpelle alors qu’ils rouspètent : « Ne m’oubliez pas maintenant, entendu ? »
A cet instant, la mémoire de Kaïm fait le lien. La vieille femme découvre avec joie dans son regard qu’il l’a enfin reconnue.
« Tu te souviens de moi maintenant ? », crie-t-elle, « Je suis Shushu. C’est moi…Shushu ! »
Il se souvient effectivement de cette fille qu’il avait rencontrée dans cette ville quatre-vingts ans plus tôt. A l’époque, elle avait entre cinq et six ans. C’était une enfant précoce. Loin d’être timide avec les étrangers, car son père était aubergiste.
Elle avait certainement entendu cette expression quelque part et du coup, à chaque fois qu’un invité partait après avoir séjourné à l’auberge, au lieu de dire simplement « au revoir » ou « merci », elle souriait et lançait un joyeux « Ne m’oubliez pas maintenant, entendu ? »
Seulement maintenant, quand il peut soudain voir la fillette qui se cache sous les rides, Kaïm doit détourner le regard.
«Qu’est-ce qu’il se passe, grand frère ? »
Il est incapable d’affronter directement le regard vide de Shushu. Quatre-vingts abs se sont écoulés ! Qu’est-ce qu’un homme qui ne vieillit pas peut avoir à raconter à une fillette issue d’un lointain passé et qui a trop vieilli ?
« Laissez-moi passer s’il vous plait, désolé, laissez-moi passer s’il vous plait. »
Se frayant un passage dans la foule, un jeune homme se précipite vers Shushu et Kaïm ; « Arrière-grand-mère ! Combien de fois dois-je te répéter de ne pas sortir sans m’avertir ? »
Après avoir réprimandé la vieille femme, il se retourne vers Kaïm, se courbant e signe d’excuse.
« Je suis profondément désolé si elle vous a ennuyé. Elle est âgée et de plus en plus sénile. Veuillez la pardonner. »
Shushu fait une moue désapprobatrice et demande :
« De quoi parles-tu ? Je ne fais que jouer avec grand frère Kaïm. Qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ? »
Elle regarde le jeune homme et rajoute : »Qui êtes-vous ? »
Le jeune homme lance un regard triste à Kaïm et se met à s’excuser de nouveau. Avec un sourire affligé, Kaïm m’arrête. Kaïm sait que parfois une vie peut être plus triste et déchirante quand elle est prolongée que quand elle est écourtée. Cependant, une vie a beau être terriblement triste et déchirante, personne n’a le droit de la mépriser.
« Elle ne comprend simplement pas qu’elle est vieille. Même si je lui présentais un miroir, elle me demanderait qui est cette vieille femme. »
Le jeune homme qu’i s’appelle Khache explique plus précisément la situation à Kaïm :
« Elle peut oublier qu’elle a pris un petit-déjeuner, alors que ses souvenirs d’enfance son intacts. »
Kaïm acquiesce silencieusement. Khasche et Kaïm s’assoient sur un banc de la place et regardent Shushu cueillir des fleurs. Elle semble composer un couronne de fleurs pour son « grand frère » de retour après une si longue absence.
« Mais, Monsieur, vous avez du temps devant vous ? Vous n’étiez pas pressé d’aller quelque part ? »
« Non, ça va. Ne vous inquiétez pas. »
« Merci beaucoup »
Il sourit pour la première fois et dut : « Ça fait des lustres que je ne l’ai pas vue si heureuse. »
Le jeune homme semble convaincu que son arrière-grand-mère a retrouvé en Kaïm une personne qui ressemble à quelqu’un qu’elle connaissait enfant. Kaïm ne le contredit pas. Il sait que Khasche est incapable d’imaginer l’existence d’une personne qui ne vieillit jamais et il n’a pas besoin de l’envisager de toute façon.
« Sa santé s’est beaucoup détériorée dernièrement. A chaque fois qu’elle a une poussé de fièvre, on se demande si c’est bientôt la fin et on se prépare au pire. Mais elle s’en remet. Parfois, on plaisante en disant que son esprit est une telle passoire qu’elle en a mêle oublié de mourir. »
Kaïm observe le jeune homme de profil. Khasche a un sourire adorable sur le visage quand il parle de son arrière-grand-mère. Ça ne fait aucun doute qu’elle s’en occupait et jouait avec lui quand il était enfant. Adulte aujourd’hui, Khasche prend soin de son arrière-grand-mère comme un père avec sa propre fille.
Il lui dit : « C’est jolie, arrière-grand-mère. Je ne t’ai pas vue faire de bouquet depuis longtemps ! »
Accroupie dans l’herbe, les fleurs à la main. Shushu répond :
« C’est faux, Je lui ai fait un bouquet hier ! »
Puis elle dit à Kaïm :
« Hein, c’est vrai, grand frère ? Tu l’as même mis dans tes cheveux pour me faire plaisir, n’est-ce pas ? »
Kaïm met ses mains autour de sa bouche et lui répond :
« Évidement, ça sentait si bon ! »
Le visage de Shushu se plisse de joie. Submergé par l’émotion. Khasche baisse la tête. Kaïm demande à Khasche : « C’est vous qui prenez soin d’elle ? »
« Oui, oui, avec ma femme Cynthia. »
« Que font vos parents ? Ou même vos grands-parents ? Sont-ils toujours vivants ? »
Khasche hausse les épaules et répond :
« Mon arrière-grand-mère et moi somme les deux seuls membres de la famille encore vivants. »
Ses grands-parents sont morts tous les deux suite à une épidémie il y a vingt ans. Son père a péri pendant la guerre qui eut lieu dans cette région il y a dis ans. Sa mère, la petite-fille de Shushu, a vieilli plus vite que sa propre mère et elle s’est éteinte il y a cinq ans.
« Mon arrière-grand-mère a dû assister à toutes ces funérailles au fil des années ; celles de ses enfants et de ses petits-enfants. Avant qu’on s’en rende compte, elle était devenue la personne la plus âgée de la ville. On doit se sentir très seul dans cette situation… »
« C’est sûr », répond Kaïm.
« C’est certainement une faveur divine de laisser l’esprit divaguer quand un individu vit trop longtemps. Enfin, c’est comme ça que je vois les choses ces derniers temps. On pourrait croire qu’elle se sent seule après avoir perdu tous ces proches, mais pas du tout. Vivre longtemps permet de cultiver de nombreux souvenir. Ce n’est peut être pas une si mauvaise chose de vivre dans ses souvenirs au terme de sa vie.
Shushu se relève, les bras remplis de fleurs.
« Grand frère Kaïm ! Je vais faire une couronne de fleurs rien que pour toi ! S’il me reste des fleurs, j’en ferai une deuxième pour quelqu’un d’autre. »
Perplexes, Kaïm et Khashe se regardent en souriant.
« Pourquoi souriez-vous ainsi ? », demande Shushu. « Vous êtes amis maintenant ? »
Surprise, elle écarquille ses yeux ridés, fait un grand sourire aux deux hommes et s’effondre dans l’herbe. Khasche se met a courir à la recherche d’un médecin, mais Kaïm le retient en lui saisissant le bras et dit : « Vous feriez mieux de rester à ses côtés. »
Ironiquement, Kaïm, qui ne pourra jamais véritablement savoir ce que cela fait de vieillir, a assisté à d’innombrables morts au fil des années. Grâce à son expérience, il est convaincu que Shushu ne s’en remettra pas cette fois. Shushu repose sur le dos, à l’endroit où elle est tombée, sa brassée de fleurs désormais étalée sur a poitrine.
Elle sourit.
« Attends une minute, grand frère Kaïm. Je te donne la couronne de fleurs tout de suite… »
Son esprit erre toujours dans les souvenirs du passé. Restera-t-elle dans cet état jusqu’à la fin ?
« Continue à te battre, arrière-grand-mère ! Ne laisse pas tomber ! », Khasche prend sa main et l’encourage tout en fondant en larmes, mais il se peut qu’elle n’ai même pas conscience qu’il s’agisse de son petit-fils.
« C’est moi, arrière-grand-mère, c’est moi, Khasche ! Tu ne pas oublié, hein ? J’ai fait ta toilette hier soir, Tu savais qui j’étais à ce moment-là, non ? »
Khasche l’implore de toutes ses forces.
Mais Shushu, un sourire enfantin aux lèvres, est en train de partir pour l’autre monde.
« Je vais bientôt être père, arrière-grand-mère ! Tu t’en souviens ? Je te l’ai dit hier soir, Cynthia est enceinte. Ça fera de toi une arrière-arrière-grand-mère ! Notre famille s’agrandira… Une nouvelle personne de même sang que toi. »
Toujours souriante, Shushu prend entre ses doigts tremblants une des fleurs sur sa poitrine. Elle la pousse vers Khasche et dans un murmure, elle dit :
« Ne m’oublie pas maintenant, entendu ? »
Khasche ne comprend pas. C’est normal: comment aurait-il pu connaître l’expression qu’elle utilisait toujours bien avant qu’il soit né ?
Kaïm pose son bras sur l’épaule de Khasche et dit : « Répondez-lui »
« Je comprends, arrière-grand-mère, jamais je ne t’oublierai. C’est impossible. Comment pourrais-je oublier mon arrière-grand-mère ? »
« Ne m’oublie pas maintenant, entendu ? »
« Jamais je ne t’oublierai, arrière-grand-mère, crois-moi. Je me souviendrai de toi toute ma vie. »
« Ne m’oublie pas maintenant, entendu ? »
Shushu ferme les yeux et pose une main sur les fleurs étalées sur sa poitrine comme si elle cherchait quelque chose à tâtons. On dirait presque qu’elle essaie d’ouvrir la porte de ses souvenirs.
Une légère brise l’effleure.
Les fleurs sur sa poitrine vacillent au gré du vent comme les souvenirs. Parmi ses souvenirs se trouve certainement le Kaïm d’il y a quatre-vingts ans. Kaïm attrape un pétale dans le vent et l’enferme dans la paume de sa main. Shushu ne rouvrira plus les yeux. Elle entame un voyage dans un monde où le passé comme le présent n’existe pas. Les seuls qu’elle abandonne sont Kaïm, qui continuera à vivre pour toujours, et Khasche, qui est sur le point d’accueillir un nouvelle être dans ce monde.
S’accrochant au corps de sont arrière-grand-mère Khasche, en pleurs, relève la tête pour regarder Kaïm.
« Merci mille fois », dit-il à Kaïm le voyageur. « Grâce à vous, mon arrière-grand-mère a connu le bonheur de conclure sa vie en cueillant des fleurs. »
« Je n’y suis pour rien », répond Kaïm.
Il referme la main sur le pétale et dit à Klassche :
« Je suis sûr que si elle avait eu le temps de faire un bouquet, elle l’aurait offert à l’adorable nouveau-né. »
Khasche penche timidement la tête et murmure : « J’espère que vous avez raison. » Puis, esquissant un sourire à travers ses larmes, il affirme :
« Je suis sûr que vous avez raison. »
« A propos de la promesse que vous lui avez faite. Comportez-vous bien et ne l’oubliez pas. »
« Non, bien sûr… »
« Les gens continuent de vivre dans la mémoire des survivants. »
Sur ces mots, Kaïm s’en va lentement. Derrière lui, il entend la voix de Shushu.
Ne m’oublie pas maintenant, grand frère Kaïm, entendu ?
C’est la voix de la fillette il y a quatre-vingts ans qui résonne toujours plus clairement. Douce et innocente, faisant ses adieux à l’homme qui voyagera dans la vie pour l’éternité.
Tout le monde au marché déteste cette petite fille. Pas encore dix ans et loin d’avoir perdu la douce innocence de l’enfance, elle n’inspire que le mépris chez les adultes qui possèdent une boutique au marché. La raison est simple. Elle ment à propos de tout.
« Hé, Monsieur, je viens de voir un cambrioleur s’introduire dans votre maison ! »
« Madame, tout vient de dégringoler de vos étagères ! »
« Hé, tout le monde, vous avez entendu ce que le voyageur a dit ? Des bandits prévoient d’attaquer ce marché ! »
Même les mensonges les plus inoffensifs peuvent agacer quand ils se répètent trop souvent. La colère des commerçants monte.
« Vous feriez bien de vous méfier d’elle, vous aussi ». Dit la marchande de fruit et légumes à Kaïm.
« Comme personne ne la croit plus ici, elle est à l’affût des nouveaux venus ou des étrangers. Quelqu’un comme vous serait une cible parfaite pour elle. »
Elle avait peut-être raison. Kaïm est nouveau en ville. Il est arrivé il y a quelques jours et il a commencé à travailler au marché aujourd’hui.
« Que font ses parents ? », demande Kaïm en déchargeant une charretée de légumes. La femme fronce les sourcils et secoue la tête dans un soupir.
« Elle n’a pas de parents. »
« Ils sont décédés ? »
« La mère est morte, c’est sûr, il y a peut-être quatre ou cinq ans. C’était une jeune femme pleine de vie qui n’avait jamais été malade, même d’un simple rhume, de toute sa vie. Puis un jour, elle s’est effondrée et elle est morte sur le coup. »
« Et son père ? »
Elle soupire encore plus profondément et dit :
« Il est parti pour trouver du travail en ville. »
Les parents tenaient une épicerie au marché. En réalité, la mère s’occupait de la boutique presque seul puisqu’elle gérait les achats et les ventes des différentes marchandises entreposées. A sa mort, les finances s’effondrèrent jusqu’à ce que quelqu’un reprenne la boutique. Le père s’en alla pour une lointaine capitale à la recherche d’un travail bien payé qui lui permettrait de rembourser ses dettes. Il promit de revenir sis mois plus tard, mais ça fait déjà un ans de ça, Des lettres de lui arrivaient à l’occasion chez son ami le tailleur, mais depuis 6 mois plus rien.
« Je suppose que vous trouver ça triste pour cette petite fille d’attendre le retour de son père, mais quand même… »
La fillette dort désormais dans un coin de l’entrepôt qui appartient aux gens du marché.
« Nous parlions tous de prendre soin d’elle. »
Cela ne surprend aucunement Kaïm. Il sait d’expérience que toutes les personnes qui travaillent au marché, pas seulement cette gentille femme potelée, on bon cœur et sont généreux malgré leurs modestes moyens. Sinon, ils n’auraient jamais engagé un étranger comme lui.
« Mais bien avant que les six premiers mois s’écoulent, on en avait tous ras le bol d’elle. Elle était mignonne et simple quand sa mère était en vie, mais cet évènement tragique l’a perturbée. Toute sa gentillesse a disparu. Bien sûr, nous étions tous navrés pour elle et nous nous sommes relayés pour la nourrir et l’habiller de vieux vêtements, mais elle a tellement menti à tous les adultes que plus personne ne se préoccupe d’elle aujourd’hui. Pourquoi ne comprend-elle pas ça… ? »
« Elle doit se sentir seule, vous ne pensez pas ? »
Avec un sourire peiné, la femme hausse les épaules et dit :
« Assez jacassé pour aujourd’hui. Au travail ! » Puis elle entre dans la boutique.
Kaïm est en train de trier les légumes qu’il a déchargés devant la boutique quand il entend une petite voix derrière lui.
« Hé, Monsieur, vous êtes nouveau ici ? »
C’est la fillette.
« Oui… »
« Vous ne venez pas de la ville, si ? »
« Non… »
« Est-ce que vous vivez au-dessus de la boutique ? »
« Pour l’instant en tous cas. Ça me convient. »
« Je vais vous dire un secret, d’accord ? »
Et c’est parti, « D’accord », dit Kaïm sans s’arrêter de travailler.
« Il y a un fantôme sur ce marché. Les gens n’en parlent à personne parce que c’est mauvais pour les affaires, mais il existe vraiment. Je le vois tout le temps. »
« Vraiment ?! », répond Kaïm en feignant la surprise.
Il décide d’entrer dans son jeu plutôt que de la repousser parce qu’elle ment. Dans sa vie sans fin, il a eu l’occasion de rencontrer tellement d’enfants qui avaient perdu leurs parents ou qui avaient été abandonnés. La tristesse et la solitude des enfants qui ont été projetés dans le monde, seuls, sont des sentiments que Kaïm ressent en errant à l’infini.
« Quel genre de fantôme ? »
« Une femme. J’ignore son identité. »
D’après elle, c’est le fantôme d’une mère qui a perdu son enfant. Sa petite fille, son unique enfant, est morte à cause d’une épidémie. Submergée par le chagrin, la mère choisit de mourir. Aujourd’hui, son fantôme qui est à la recherche de sa fille apparaît au marché tous les soirs.
« Pauvre mère ! Elle s’est tuée pour retrouver sa fille, elle ne parvient pas à la trouver dans l’autre monde. Du coup, elle ne cesse de la chercher et de crier : Où es-tu ? Viens vite avec Maman dans l’autre monde. »
La fillette raconte son histoire avec un très grand sérieux.
« Vous ne trouvez pas ça triste ? », demande-t-elle à Kaïm.
Elle a les larmes aux yeux, ce qui prouve à Kaïm qu’elle ment sans aucun doute.
Même si la marchande ne l’avait pas mis en garde, il aurait su que c’était un mensonge basé sur ce qu’elle lui avait raconté du passé de la fillette. Kaïm range avec soin des grappes de raisin bien mûr sur un présentoir et demande à la petite fille :
« Pourquoi penses-tu que la mère ne réussit pas à retrouver sa fille ? »
« Quoi ? », lui répond-elle d’un air hébété.
Il continue : « Eh bien, la fille n’est pas dans l’autre monde et elle n’erre pas dans ce monde, alors où est-elle ? »
Kaïm ne souhaite pas effectuer un contre-interrogatoire. Il a simplement conscience que quelqu’un qui ment par chagrin peut avoir moins de ma à reconnaître ce mensonge pour ce qu’il est. La solitude de la fillette qui a perdu sa mère et qui a été abandonnée par son père ne se manifeste pas par un petit mensonge, mais un mensonge perpétuel.
« Hum, maintenant que vous le dites, c’est vrai que c’est étrange », dit la fillette en souriant calmement.
« Mais où bien a pu aller cette fille ? »
Kaïm envisage l’espace d’un instant de pointer son doigt sur la fille pour lui dire « juste ici », mais avant qu’il n’en ai eu le temps, elle continue :
« C’est la première fois que quelqu’un me demande ça. Vous êtes…Différent. »
« Je ne sais pas… »
« Si, vous l’êtes. Vous êtes différent », insiste la fillette.
« Je pense qu’on peut être amis. » Son sourire s’agrandit.
Kaïm lui lance un sourire sans dire mot. A ce moment-là, ils entendent la marchande de fruits et légumes arriver de l’arrière-boutique et la fillette s’enfuit en courant. Juste avant de disparaître, la fille fait un petit signe de la main a Kaïm comme pour lui dire « A bientôt ». Pour la première fois, le visage de la fillette aux traits bien trop adultes arbore une expression enfantine de son âge.
La fille commence à venir voir Kaïm à la boutique plusieurs fois par jour quand la marchande s’absente. Elle lui raconte mensonge sur mensonge.
- J’ai préparé des cookies avec ma mère hier soir, je voulais t’en donner, mais ils étaient si bons que j’ai tout mangé.
- Des bandits m’ont enlevée quand j’étais bébé, mais mon père est venu me sauver et il a frappé tous les méchants pour éviter que je sois blessée.
- Ma maison ? Elle est grande et blanche, elle se trouve au pied de la montagne. Vous êtes nouveau ici, c’est pour ça que vous ne savez probablement pas que c’est la plus grande maison de la ville.
- Vous n’avez pas de famille ? Vous êtes seul ? Pauvre Kaïm ! J’aimerais pouvoir partager un peu de mon bonheur avec vous !
Tous ses mensonges naissent du chagrin, des mensonges solitaires qu’elle ne pourrait jamais raconter aux gens du marché qui connaissent son passé. A la fin de toutes discussions avec Kaïm, en partant, la fillette met son doigt devant la bouche et dit :
« C’est notre petit secret. N’en parlez pas à la marchande. »
Bien sûr, Kaïm ne raconte rien à personne. S’il se trouve dans une situation où les gens du marché médisent de la fillette, il s’éclipse discrètement. Les mensonges et les dénigrements sont amusants, il ne prennent pas forme quand ils sont racontés, mais seulement quand quelqu’un est présent pour les écouter et les approuver. Quelqu’un de véritablement seul ne peut jamais dire de mal sur autrui. C’est la même chose pour les mensonges. Comme elle a quelqu’un à qui raconter ses mensonges, la fillette n’est plus vouée à tomber dans l’abysse de l’isolement total. Pour protéger le petit bonheur triste de la fillette, Kaïm joue le rôle de l’auditeur qui ne soulève aucune objection.
Un jour, la fillette vient voir Kaïm et fait particulièrement attention à ne pas être remarquée par la marchande ou par les propriétaires des boutiques voisines.
« Dites-moi, Monsieur, avez-vous prévu de rester ici longtemps ? »
« Non », répond Kaïm en continuant à décharger les fruits et légumes.
« Vous partirez quand vous aurez économisé assez d’argent ? »
« Probablement »
« Mais vous n’avez pas encore amassé assez d’argent ? »
« Non, pas encore », dit-il en se forçant à sourire à la fillette.
C’est un de ses petits mensonges à lui, il a déjà assez d’argent pour subvenir à ses besoins sur la route. Il n’a pas non plus accepté ce travail à demeure parce qu’il a énormément besoin d’argent. Il reste ici, car il n’a pas trouvé de destination où il aimerait se rendre. Un voyage sans fin. Les sages disent que nous avons besoin de rêves et de buts dans la vie. Les rêves à réaliser et les objectifs à atteindre apparaissent comme des points de repère dans la vie précisément parce que la vie a un début et une fin.
Quels sont les rêves et es buts de quelqu’un qui est condamné à vivre éternellement ? La vie de Kaïm n’est pas un voyage à effectuer dans la hâte. Ce n’est pas non plus un voyage qu peut être précipité. Dériver jour après jour sans destination ne peut même pas être qualifié de voyage.
La fillette dit : « Si j’était vous, je quitterais ce marché dès que j’aurais économisé assez d’argent pour voyager deux ou trois jours. »
Kaïm lui répond par un sourire affligé et silencieux. Quelle serait l’expression du vissage de la fillette si Kaïm venait à lui dire :
« Je reste ici pour toi » ?
Je trouve un sens à ma vie en ce moment en étant l’auditeur de tes mensonges.
Au moment où ces mots lui viennent à l’esprit, ces mots qu’il ne pourra jamais lui dire, la fillette regarde autour d’elle furtivement et dit dans un murmure :
« Si vous voulez partir d’ici bientôt, je connais un bon moyen d’y arriver »
« Un Bon moyen… ? »
« Introduisez-vous dans la boutique du tailler et volez la caisse. Il y a un pot dans le petit placard au fond de la boutique. Il est rempli d’argent. »
« Est-ce que tu es en train de me dire que je dois voler ? »
« Oui. »
Elle regarde Kaïm droit dans les yeux avec une assurance infaillible. Très sérieusement, elle poursuit son explication :
« Ce tailleur mérite d’être dépouillé. »
Selon elle, l’argent dans le pot est de l’argent sale.
Elle dit : « Je connais une fille, une bonne amie à moi, qui a vécu des événements dramatiques. Sa mère est morte son père est parti pour trouver du travail dans la capitale. Du coup, elle se retrouve toute seule. Son père était censé revenir la chercher au bout de six mois, mais elle n’a eu aucune nouvelle. »
Encore un autre mensonge né de son chagrin. Kaïm demande calmement :
« Y’a-t’il un lien entre ton amie et le tailleur ? »
Elle répond : « Bien sûr, il y a un lien étroit. Le père envoyait de l’argent à sa fille chaque mois comme il l’avait promis, pour lui faciliter la vie en ville. Il lui écrivait aussi, il voulait lui raconter qu’il avait trouvé un bon travail en ville, qu’elle devrait venir vivre avec lui immédiatement, qu’il était trop occupé pour venir la chercher, alors elle devrait venir le rejoindre. Il lui envoyait de l’argent pour le voyage. Mais aucune de ces lettres et pas un sou n’ont été transmis à la fille. Et comment ça se fait d’après vous ? »
Avant que Kaïm ne puisse répondre, la fillette dit :
« L’erreur qu’il a faite était d’envoyer les lettres et l’argent chez le tailleur. Il garde tout l’argent pour lui. »
Kaïm détourne le regard.
Afin d’étayer un triste mensonge, la fillette a inventé un mensonge encore plus désolant, un mensonge qui peut blesser une tierce personne.
« Ce serait un jeu d’enfant de forcer la serrure de la porte de derrière chez le tailleur », ajoute la fille avant de s’en aller en sautillant sans attendre la réponse de Kaïm.
Le lendemain matin, la fillette arrive en courant dans l’épicerie, en criant le nom de la propriétaire. Elle adresse directement la parole à la femme et non à Kaïm :
« Des cambrioleurs sont entrés par effraction chez le tailleur cette nuit ! »
Elle raconte avoir vue des voleurs s’introduire furtivement tard la nuit après la fermeture du marché. En se forçant à sourire, la femme dit :
« c’est pas vrai ! Ça dû être terrible ! »
Manifestement, elle ne prend pas la fillette au sérieux.
« Mais c’est vrai ! Je les ai vus, je vous jure ! »
« Écoute, fillette, j’en ai assez entendu de ta part. Tu es une telle petite menteuse que ça me terrifie de penser que tu deviendras une voleuse ou une arnaqueuse quand tu seras adulte. Je dois ouvrir la boutique, alors si tu veux bien me laisser tranquille ? Va mentir à quelqu’un d’autre. »
Elle a à peine dit son dernier mot que quelqu’un a l’extérieur crie
« Au secours ! A l’aide ! » C’est le tailleur qui est dabs la rue, l’air horrifié et criant à pleins poumons.
« Des… des cambrioleurs ! il ont volé mon argent ! »
La fillette s’éclipse en voyant le tailleur entrer. Une vive agitation s’empare du marché. Une chose est sûre : La fillette ne mentait pas. Trop abitués à ses mensonges, les gens se mettent à penser à un autre genre de mensonges.
« Peut-être que c’est elle la coupable. Qu’en pensez-vous ? »
Et de fil en aiguille, les choses s’enveniment…
« Je pense que vous avez peut-être raison. »
« C’est vrai qu’elle sait jouer la comédie ! »
« Je ne pense pas qu’elle se gênerait. »
« Trouvons-la On la fera avouer… même si on doit se montrer un peu durs avec elle. »
Personne ne s’oppose à cette proposition. Certains courent voir à l’entrepôt, d’autres commencent à fouiller le marché.
« Impossible de mettre la main dessus ! »
« l’entrepôt est vide. »
« Elle s’est enfuie avec l’argent ! »
Alors que les spéculations vont bon train, Kaïm finit par tout comprendre. Après tous ses tristes mensonges, la fillette est partie en disant la vérité.
« Elle n’a pas pu aller bien loin ! »
« Ouais, on peut encore la rattraper ! »
« La petite voleuse ! Attendez que je lui mette la main dessus ! »
Les hommes fulminent et les femmes attisent leur colère :
« Bien ! Infligez-lui ce qu’elle mérite ! »
« On a été si gentils avec elle et voilà comment elle nous traite ! Il est hors de question qu’elle s’en sorte ! »
Mais Kaïm se dresse en travers de leur chemin.
« Hé, dégage ! »
Les hommes sont hors d’eux, mais Kaïm sait que s’il le voulait, il pourrait les assommer tous d’un coup, alors qu’eux seraient incapables de le toucher. Au lieu de ça, il maintient sa position de et lance une bourse en cuir au sol, au pieds des hommes.
« L’argent volé est dedans », dit-il.
« Quoi ? »
« Désolé, je l’ai volé. »
Une agitation confuse se transforme vote en crise de colère. Kaïm lève la main pour montrer qu’il ne résistera pas.
« Faite de moi ce que vous voulez. Je suis prêt. »
L’épicière passe le mur des hommes et lui crie :
« Comment avez-vous pu faire ça, Kaïm ? »
« Je voulais l’argent, c’est tout. »
« Et vous ne dites pas ça pour protéger la fillette ? »
La femme a beaucoup trop d’intuition. Se forçant à sourire, Kaïm s’adresse au tailleur :
« L’argent était dans le pot dans le petit placard, n’est-ce pas ? »
L’homme hoche la tête énergiquement :
« C’est vrai ! Ça doit être le coupable ! Je gardais bien l’argent dans le pot ! c’est un voleur »
« Il n’y avait pas que l’argent dans le pot, n’est-ce pas ? »
« Que voulez-vous dire ? »
« il y avait aussi des lettres, des lettres écries par le père de la fillette. »
« C’est faux ! Vous êtes devenu fou ! »
« Pourtant, c’est la vérité. »
« Non, il ne pouvais pas y avoir de lettres ! Je les ai toutes jetées… »
Le tailleur plaque sa main sur sa bouche. Mais c’est trop tard. L’épicière lui lance un regard furieux.
« Qu’est-ce que tout ça veut dire ? », demande-t-elle.
« Heu…non…je veux dire… »
« Il faudrait mieux tout nous raconter. »
Les regards en colère passent de Kaïm au tailleur.
Quelques jours plus tard, deux lettres expédiées par la fillette arrivent pour « La femme de l’épicerie et le gentil monsieur du dessus. » La lettre de Kaïm raconte que la fille a réussi à retrouver son père dans la capitale. Il n’y a aucun moyen de savoir si c’est vrai ou faux. C’est difficile d’imaginer qu’un petite fille puisse retrouver si facilement son père dans une grande ville sans connaître son adresse ou son lieu de travail.
Pourtant, il choisir de la croire quand elle écrit :
« Maintenant, je suis heureuse. »
Les êtres humains sont les seuls animaux à mentir. Il y a les mensonges qui dupent, les mensonges qui profitent et les mensonges qui protègent un cœur de la solitude et du chagrin écrasants. Si les mensonges n’existaient pas dans ce monde, de nombreux conflits et malentendus disparaîtraient très certainement. D’un autre côté, c’est peut-être parce que ce monde mélange vérité et mensonges que les gens ont appris à « croire ».
Quand il a terminé sa lecture, Kaïm observe la femme. Concentrée sur sa lettre, elle relève timidement la t^te quand elle sent le regard de Kaïm.
« J’abandonne ! », déclare-t-elle. « Écoutez ça : »
Je vous remercie tous, vous et les autres gens du marché, pour tout ce que vous avez fait pour moi. Je ne vous oublierai jamais tant que je vivrai.
« Une menteuse jusqu’au bout, cette fillette ! », sanglote-t-elle en souriant.
« Hé, Monsieur, je viens de voir un cambrioleur s’introduire dans votre maison ! »
« Madame, tout vient de dégringoler de vos étagères ! »
« Hé, tout le monde, vous avez entendu ce que le voyageur a dit ? Des bandits prévoient d’attaquer ce marché ! »
Même les mensonges les plus inoffensifs peuvent agacer quand ils se répètent trop souvent. La colère des commerçants monte.
« Vous feriez bien de vous méfier d’elle, vous aussi ». Dit la marchande de fruit et légumes à Kaïm.
« Comme personne ne la croit plus ici, elle est à l’affût des nouveaux venus ou des étrangers. Quelqu’un comme vous serait une cible parfaite pour elle. »
Elle avait peut-être raison. Kaïm est nouveau en ville. Il est arrivé il y a quelques jours et il a commencé à travailler au marché aujourd’hui.
« Que font ses parents ? », demande Kaïm en déchargeant une charretée de légumes. La femme fronce les sourcils et secoue la tête dans un soupir.
« Elle n’a pas de parents. »
« Ils sont décédés ? »
« La mère est morte, c’est sûr, il y a peut-être quatre ou cinq ans. C’était une jeune femme pleine de vie qui n’avait jamais été malade, même d’un simple rhume, de toute sa vie. Puis un jour, elle s’est effondrée et elle est morte sur le coup. »
« Et son père ? »
Elle soupire encore plus profondément et dit :
« Il est parti pour trouver du travail en ville. »
Les parents tenaient une épicerie au marché. En réalité, la mère s’occupait de la boutique presque seul puisqu’elle gérait les achats et les ventes des différentes marchandises entreposées. A sa mort, les finances s’effondrèrent jusqu’à ce que quelqu’un reprenne la boutique. Le père s’en alla pour une lointaine capitale à la recherche d’un travail bien payé qui lui permettrait de rembourser ses dettes. Il promit de revenir sis mois plus tard, mais ça fait déjà un ans de ça, Des lettres de lui arrivaient à l’occasion chez son ami le tailleur, mais depuis 6 mois plus rien.
« Je suppose que vous trouver ça triste pour cette petite fille d’attendre le retour de son père, mais quand même… »
La fillette dort désormais dans un coin de l’entrepôt qui appartient aux gens du marché.
« Nous parlions tous de prendre soin d’elle. »
Cela ne surprend aucunement Kaïm. Il sait d’expérience que toutes les personnes qui travaillent au marché, pas seulement cette gentille femme potelée, on bon cœur et sont généreux malgré leurs modestes moyens. Sinon, ils n’auraient jamais engagé un étranger comme lui.
« Mais bien avant que les six premiers mois s’écoulent, on en avait tous ras le bol d’elle. Elle était mignonne et simple quand sa mère était en vie, mais cet évènement tragique l’a perturbée. Toute sa gentillesse a disparu. Bien sûr, nous étions tous navrés pour elle et nous nous sommes relayés pour la nourrir et l’habiller de vieux vêtements, mais elle a tellement menti à tous les adultes que plus personne ne se préoccupe d’elle aujourd’hui. Pourquoi ne comprend-elle pas ça… ? »
« Elle doit se sentir seule, vous ne pensez pas ? »
Avec un sourire peiné, la femme hausse les épaules et dit :
« Assez jacassé pour aujourd’hui. Au travail ! » Puis elle entre dans la boutique.
Kaïm est en train de trier les légumes qu’il a déchargés devant la boutique quand il entend une petite voix derrière lui.
« Hé, Monsieur, vous êtes nouveau ici ? »
C’est la fillette.
« Oui… »
« Vous ne venez pas de la ville, si ? »
« Non… »
« Est-ce que vous vivez au-dessus de la boutique ? »
« Pour l’instant en tous cas. Ça me convient. »
« Je vais vous dire un secret, d’accord ? »
Et c’est parti, « D’accord », dit Kaïm sans s’arrêter de travailler.
« Il y a un fantôme sur ce marché. Les gens n’en parlent à personne parce que c’est mauvais pour les affaires, mais il existe vraiment. Je le vois tout le temps. »
« Vraiment ?! », répond Kaïm en feignant la surprise.
Il décide d’entrer dans son jeu plutôt que de la repousser parce qu’elle ment. Dans sa vie sans fin, il a eu l’occasion de rencontrer tellement d’enfants qui avaient perdu leurs parents ou qui avaient été abandonnés. La tristesse et la solitude des enfants qui ont été projetés dans le monde, seuls, sont des sentiments que Kaïm ressent en errant à l’infini.
« Quel genre de fantôme ? »
« Une femme. J’ignore son identité. »
D’après elle, c’est le fantôme d’une mère qui a perdu son enfant. Sa petite fille, son unique enfant, est morte à cause d’une épidémie. Submergée par le chagrin, la mère choisit de mourir. Aujourd’hui, son fantôme qui est à la recherche de sa fille apparaît au marché tous les soirs.
« Pauvre mère ! Elle s’est tuée pour retrouver sa fille, elle ne parvient pas à la trouver dans l’autre monde. Du coup, elle ne cesse de la chercher et de crier : Où es-tu ? Viens vite avec Maman dans l’autre monde. »
La fillette raconte son histoire avec un très grand sérieux.
« Vous ne trouvez pas ça triste ? », demande-t-elle à Kaïm.
Elle a les larmes aux yeux, ce qui prouve à Kaïm qu’elle ment sans aucun doute.
Même si la marchande ne l’avait pas mis en garde, il aurait su que c’était un mensonge basé sur ce qu’elle lui avait raconté du passé de la fillette. Kaïm range avec soin des grappes de raisin bien mûr sur un présentoir et demande à la petite fille :
« Pourquoi penses-tu que la mère ne réussit pas à retrouver sa fille ? »
« Quoi ? », lui répond-elle d’un air hébété.
Il continue : « Eh bien, la fille n’est pas dans l’autre monde et elle n’erre pas dans ce monde, alors où est-elle ? »
Kaïm ne souhaite pas effectuer un contre-interrogatoire. Il a simplement conscience que quelqu’un qui ment par chagrin peut avoir moins de ma à reconnaître ce mensonge pour ce qu’il est. La solitude de la fillette qui a perdu sa mère et qui a été abandonnée par son père ne se manifeste pas par un petit mensonge, mais un mensonge perpétuel.
« Hum, maintenant que vous le dites, c’est vrai que c’est étrange », dit la fillette en souriant calmement.
« Mais où bien a pu aller cette fille ? »
Kaïm envisage l’espace d’un instant de pointer son doigt sur la fille pour lui dire « juste ici », mais avant qu’il n’en ai eu le temps, elle continue :
« C’est la première fois que quelqu’un me demande ça. Vous êtes…Différent. »
« Je ne sais pas… »
« Si, vous l’êtes. Vous êtes différent », insiste la fillette.
« Je pense qu’on peut être amis. » Son sourire s’agrandit.
Kaïm lui lance un sourire sans dire mot. A ce moment-là, ils entendent la marchande de fruits et légumes arriver de l’arrière-boutique et la fillette s’enfuit en courant. Juste avant de disparaître, la fille fait un petit signe de la main a Kaïm comme pour lui dire « A bientôt ». Pour la première fois, le visage de la fillette aux traits bien trop adultes arbore une expression enfantine de son âge.
La fille commence à venir voir Kaïm à la boutique plusieurs fois par jour quand la marchande s’absente. Elle lui raconte mensonge sur mensonge.
- J’ai préparé des cookies avec ma mère hier soir, je voulais t’en donner, mais ils étaient si bons que j’ai tout mangé.
- Des bandits m’ont enlevée quand j’étais bébé, mais mon père est venu me sauver et il a frappé tous les méchants pour éviter que je sois blessée.
- Ma maison ? Elle est grande et blanche, elle se trouve au pied de la montagne. Vous êtes nouveau ici, c’est pour ça que vous ne savez probablement pas que c’est la plus grande maison de la ville.
- Vous n’avez pas de famille ? Vous êtes seul ? Pauvre Kaïm ! J’aimerais pouvoir partager un peu de mon bonheur avec vous !
Tous ses mensonges naissent du chagrin, des mensonges solitaires qu’elle ne pourrait jamais raconter aux gens du marché qui connaissent son passé. A la fin de toutes discussions avec Kaïm, en partant, la fillette met son doigt devant la bouche et dit :
« C’est notre petit secret. N’en parlez pas à la marchande. »
Bien sûr, Kaïm ne raconte rien à personne. S’il se trouve dans une situation où les gens du marché médisent de la fillette, il s’éclipse discrètement. Les mensonges et les dénigrements sont amusants, il ne prennent pas forme quand ils sont racontés, mais seulement quand quelqu’un est présent pour les écouter et les approuver. Quelqu’un de véritablement seul ne peut jamais dire de mal sur autrui. C’est la même chose pour les mensonges. Comme elle a quelqu’un à qui raconter ses mensonges, la fillette n’est plus vouée à tomber dans l’abysse de l’isolement total. Pour protéger le petit bonheur triste de la fillette, Kaïm joue le rôle de l’auditeur qui ne soulève aucune objection.
Un jour, la fillette vient voir Kaïm et fait particulièrement attention à ne pas être remarquée par la marchande ou par les propriétaires des boutiques voisines.
« Dites-moi, Monsieur, avez-vous prévu de rester ici longtemps ? »
« Non », répond Kaïm en continuant à décharger les fruits et légumes.
« Vous partirez quand vous aurez économisé assez d’argent ? »
« Probablement »
« Mais vous n’avez pas encore amassé assez d’argent ? »
« Non, pas encore », dit-il en se forçant à sourire à la fillette.
C’est un de ses petits mensonges à lui, il a déjà assez d’argent pour subvenir à ses besoins sur la route. Il n’a pas non plus accepté ce travail à demeure parce qu’il a énormément besoin d’argent. Il reste ici, car il n’a pas trouvé de destination où il aimerait se rendre. Un voyage sans fin. Les sages disent que nous avons besoin de rêves et de buts dans la vie. Les rêves à réaliser et les objectifs à atteindre apparaissent comme des points de repère dans la vie précisément parce que la vie a un début et une fin.
Quels sont les rêves et es buts de quelqu’un qui est condamné à vivre éternellement ? La vie de Kaïm n’est pas un voyage à effectuer dans la hâte. Ce n’est pas non plus un voyage qu peut être précipité. Dériver jour après jour sans destination ne peut même pas être qualifié de voyage.
La fillette dit : « Si j’était vous, je quitterais ce marché dès que j’aurais économisé assez d’argent pour voyager deux ou trois jours. »
Kaïm lui répond par un sourire affligé et silencieux. Quelle serait l’expression du vissage de la fillette si Kaïm venait à lui dire :
« Je reste ici pour toi » ?
Je trouve un sens à ma vie en ce moment en étant l’auditeur de tes mensonges.
Au moment où ces mots lui viennent à l’esprit, ces mots qu’il ne pourra jamais lui dire, la fillette regarde autour d’elle furtivement et dit dans un murmure :
« Si vous voulez partir d’ici bientôt, je connais un bon moyen d’y arriver »
« Un Bon moyen… ? »
« Introduisez-vous dans la boutique du tailler et volez la caisse. Il y a un pot dans le petit placard au fond de la boutique. Il est rempli d’argent. »
« Est-ce que tu es en train de me dire que je dois voler ? »
« Oui. »
Elle regarde Kaïm droit dans les yeux avec une assurance infaillible. Très sérieusement, elle poursuit son explication :
« Ce tailleur mérite d’être dépouillé. »
Selon elle, l’argent dans le pot est de l’argent sale.
Elle dit : « Je connais une fille, une bonne amie à moi, qui a vécu des événements dramatiques. Sa mère est morte son père est parti pour trouver du travail dans la capitale. Du coup, elle se retrouve toute seule. Son père était censé revenir la chercher au bout de six mois, mais elle n’a eu aucune nouvelle. »
Encore un autre mensonge né de son chagrin. Kaïm demande calmement :
« Y’a-t’il un lien entre ton amie et le tailleur ? »
Elle répond : « Bien sûr, il y a un lien étroit. Le père envoyait de l’argent à sa fille chaque mois comme il l’avait promis, pour lui faciliter la vie en ville. Il lui écrivait aussi, il voulait lui raconter qu’il avait trouvé un bon travail en ville, qu’elle devrait venir vivre avec lui immédiatement, qu’il était trop occupé pour venir la chercher, alors elle devrait venir le rejoindre. Il lui envoyait de l’argent pour le voyage. Mais aucune de ces lettres et pas un sou n’ont été transmis à la fille. Et comment ça se fait d’après vous ? »
Avant que Kaïm ne puisse répondre, la fillette dit :
« L’erreur qu’il a faite était d’envoyer les lettres et l’argent chez le tailleur. Il garde tout l’argent pour lui. »
Kaïm détourne le regard.
Afin d’étayer un triste mensonge, la fillette a inventé un mensonge encore plus désolant, un mensonge qui peut blesser une tierce personne.
« Ce serait un jeu d’enfant de forcer la serrure de la porte de derrière chez le tailleur », ajoute la fille avant de s’en aller en sautillant sans attendre la réponse de Kaïm.
Le lendemain matin, la fillette arrive en courant dans l’épicerie, en criant le nom de la propriétaire. Elle adresse directement la parole à la femme et non à Kaïm :
« Des cambrioleurs sont entrés par effraction chez le tailleur cette nuit ! »
Elle raconte avoir vue des voleurs s’introduire furtivement tard la nuit après la fermeture du marché. En se forçant à sourire, la femme dit :
« c’est pas vrai ! Ça dû être terrible ! »
Manifestement, elle ne prend pas la fillette au sérieux.
« Mais c’est vrai ! Je les ai vus, je vous jure ! »
« Écoute, fillette, j’en ai assez entendu de ta part. Tu es une telle petite menteuse que ça me terrifie de penser que tu deviendras une voleuse ou une arnaqueuse quand tu seras adulte. Je dois ouvrir la boutique, alors si tu veux bien me laisser tranquille ? Va mentir à quelqu’un d’autre. »
Elle a à peine dit son dernier mot que quelqu’un a l’extérieur crie
« Au secours ! A l’aide ! » C’est le tailleur qui est dabs la rue, l’air horrifié et criant à pleins poumons.
« Des… des cambrioleurs ! il ont volé mon argent ! »
La fillette s’éclipse en voyant le tailleur entrer. Une vive agitation s’empare du marché. Une chose est sûre : La fillette ne mentait pas. Trop abitués à ses mensonges, les gens se mettent à penser à un autre genre de mensonges.
« Peut-être que c’est elle la coupable. Qu’en pensez-vous ? »
Et de fil en aiguille, les choses s’enveniment…
« Je pense que vous avez peut-être raison. »
« C’est vrai qu’elle sait jouer la comédie ! »
« Je ne pense pas qu’elle se gênerait. »
« Trouvons-la On la fera avouer… même si on doit se montrer un peu durs avec elle. »
Personne ne s’oppose à cette proposition. Certains courent voir à l’entrepôt, d’autres commencent à fouiller le marché.
« Impossible de mettre la main dessus ! »
« l’entrepôt est vide. »
« Elle s’est enfuie avec l’argent ! »
Alors que les spéculations vont bon train, Kaïm finit par tout comprendre. Après tous ses tristes mensonges, la fillette est partie en disant la vérité.
« Elle n’a pas pu aller bien loin ! »
« Ouais, on peut encore la rattraper ! »
« La petite voleuse ! Attendez que je lui mette la main dessus ! »
Les hommes fulminent et les femmes attisent leur colère :
« Bien ! Infligez-lui ce qu’elle mérite ! »
« On a été si gentils avec elle et voilà comment elle nous traite ! Il est hors de question qu’elle s’en sorte ! »
Mais Kaïm se dresse en travers de leur chemin.
« Hé, dégage ! »
Les hommes sont hors d’eux, mais Kaïm sait que s’il le voulait, il pourrait les assommer tous d’un coup, alors qu’eux seraient incapables de le toucher. Au lieu de ça, il maintient sa position de et lance une bourse en cuir au sol, au pieds des hommes.
« L’argent volé est dedans », dit-il.
« Quoi ? »
« Désolé, je l’ai volé. »
Une agitation confuse se transforme vote en crise de colère. Kaïm lève la main pour montrer qu’il ne résistera pas.
« Faite de moi ce que vous voulez. Je suis prêt. »
L’épicière passe le mur des hommes et lui crie :
« Comment avez-vous pu faire ça, Kaïm ? »
« Je voulais l’argent, c’est tout. »
« Et vous ne dites pas ça pour protéger la fillette ? »
La femme a beaucoup trop d’intuition. Se forçant à sourire, Kaïm s’adresse au tailleur :
« L’argent était dans le pot dans le petit placard, n’est-ce pas ? »
L’homme hoche la tête énergiquement :
« C’est vrai ! Ça doit être le coupable ! Je gardais bien l’argent dans le pot ! c’est un voleur »
« Il n’y avait pas que l’argent dans le pot, n’est-ce pas ? »
« Que voulez-vous dire ? »
« il y avait aussi des lettres, des lettres écries par le père de la fillette. »
« C’est faux ! Vous êtes devenu fou ! »
« Pourtant, c’est la vérité. »
« Non, il ne pouvais pas y avoir de lettres ! Je les ai toutes jetées… »
Le tailleur plaque sa main sur sa bouche. Mais c’est trop tard. L’épicière lui lance un regard furieux.
« Qu’est-ce que tout ça veut dire ? », demande-t-elle.
« Heu…non…je veux dire… »
« Il faudrait mieux tout nous raconter. »
Les regards en colère passent de Kaïm au tailleur.
Quelques jours plus tard, deux lettres expédiées par la fillette arrivent pour « La femme de l’épicerie et le gentil monsieur du dessus. » La lettre de Kaïm raconte que la fille a réussi à retrouver son père dans la capitale. Il n’y a aucun moyen de savoir si c’est vrai ou faux. C’est difficile d’imaginer qu’un petite fille puisse retrouver si facilement son père dans une grande ville sans connaître son adresse ou son lieu de travail.
Pourtant, il choisir de la croire quand elle écrit :
« Maintenant, je suis heureuse. »
Les êtres humains sont les seuls animaux à mentir. Il y a les mensonges qui dupent, les mensonges qui profitent et les mensonges qui protègent un cœur de la solitude et du chagrin écrasants. Si les mensonges n’existaient pas dans ce monde, de nombreux conflits et malentendus disparaîtraient très certainement. D’un autre côté, c’est peut-être parce que ce monde mélange vérité et mensonges que les gens ont appris à « croire ».
Quand il a terminé sa lecture, Kaïm observe la femme. Concentrée sur sa lettre, elle relève timidement la t^te quand elle sent le regard de Kaïm.
« J’abandonne ! », déclare-t-elle. « Écoutez ça : »
Je vous remercie tous, vous et les autres gens du marché, pour tout ce que vous avez fait pour moi. Je ne vous oublierai jamais tant que je vivrai.
« Une menteuse jusqu’au bout, cette fillette ! », sanglote-t-elle en souriant.
ou encore "lettre d'un faible" que l'on ma conseiller sur ce site.
Donc si l'un d'entre vous aurez 5 minutes pour me les faire parvenir en photos ce serai cool. Il est par contre évident que je ne recopierai pas tous le textes du jeu. (à environ 1h30 par texte je sélectionnerai probablement que les 10 meilleurs )
Comme Il me manque des textes je ne peu donc pas les
juger, j'attends donc votre avis pour ceux la :
-Pluie étincelante
-Le classement des vies
-Le village proche des Cieux
-Les Pierres du Paradis
-Balise
-Le chant des cigales
-Retour du natif
-La vie est une loterie
(Je ne pense pas avoir fait de faute de frappe ou d'orthographe en les recopiant, mais si vous en voyez, n'hésiter pas à me les communiquer)
Est-ce qu'une sauvegarde avec tout débloquer peu s'échanger via le net ?
Quitte a ce que je prenne les photo moi même en cas d'impossibilité de votre part !